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Chapitre III |
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Épisode 013 |
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Martingale quitta la salle en se raclant la gorge. Il détestait se faire humilier par ce gros ours aux doigts poisseux et aux mours d’un autre temps. Les cousins, Fargerand et Fustironcle étaient certes cruels et prétentieux, mais ils connaissaient usages et révérences de cour ; ils savaient se faire respecter des gueux et usaient volontiers de la torture et de la potence pour imposer leur loi en leur fief de Cassone. Avec eux à la tête du duché, une écharpe de chanvre aurait fait rentrer en gorge les derniers mensonges d’Alphagor Bourbier de Montcon. À la mort de l’héritier, Martingale n’avait guère hésité à leur envoyer un émissaire pour les assurer de son concours et de sa loyauté dans la conquête du duché. La situation était on ne peut plus favorable. Freuguel Childeric se morfondait sur ses mortecouilles et n’avait ni le goût ni la force de reprendre l’épée. Martingale n’avait eu aucun mal à le convaincre qu’une retraite paisible dans un pavillon de chasse l’aiderait à couler une vie tranquille loin des responsabilités que sa déchéance ne lui laissait guère force de tenir. Les deux cousins pouvaient se présenter à leur guise, avec bannière et armée, pour demander la couronne, Martingale se faisait fort de rallier la garde ducale à leur cause. Auprès d’eux, il trouverait enfin pouvoir et saurait imposer ses visions au duché. Il régnerait à sa façon, et réclamerait en contrepartie récompense raisonnable. Fut envoyé en mission, dans les habits tachés d’un rebouteux, Hugues-Godion de Villenaves, conseiller en chef de Fargerand, pour préparer les détails de la prise de pouvoir. Martingale voyait en Villenaves un rival à écarter, mais, pour l’heure, il n’avait d’autres choix que de collaborer avec lui. - Alors Martingale, quoi de neuf ? Villenaves se glissait derrière les tentures, écoutait depuis des heures aux portes et volets. Il venait de paraître dans le dos de Martingale. Fier de surprendre ce traître au triste abord. - Rien, si ce n’est que le duc veut s’enivrer à sa table avec la plus pitoyable lame et la plus agile langue de la région. Il conviendra d’attendre un peu pour savoir ce qui se dit ; mais rien qui compromette nos plans, je le crois. Villenaves passa un doigt dégoûté sur sa barbe rêche et salie qui souillait ses joues que les femmes de la cour de Cassone aimaient à caresser. - Attendre dans ce pestilentiel accoutrement ne me sied guère, Martingale. Et pour tout vous dire, deux petits détails me chagrinent. Tout d’abord, je trouve le duc de meilleure humeur et fort moins abattu que vous ne l’aviez décrit, et ensuite. - Ensuite ? s’enquit Martingale avec un brin d’inquiétude. - Ensuite, deux servants me demandent de redonner vie et appétit à un sanglier. Un homme de mon rang ne soigne pas les pourceaux ! Martingale sourit méchamment. - Il faudra pourtant vous y résoudre si vous ne voulez pas que la duchesse ne vous fasse jeter sur les routes comme un vulgaire vagabond. Vous vous êtes introduit ici en tant que rebouteux, il faudra tenir votre rôle. Mais ne vous inquiétez pas, j’ai en chambre bonne poudre qui a déjà fait ses preuves et qui remettra ce fichu animal sur pied ! Le goret n’aura que trop donner à manger à son porc. - Et que devrai-je faire de cette poudre, la lui glisser simplement en gueule ? - Que nenni, en fondement. Vous y enfoncez le bras jusqu’au coude. L’animal remuera un peu, mais ne cédez point. Vous y gagnerez confiance et reconnaissance du duché. Suivez que je vous remette le sachet. Et Martingale tourna talon en riant sous cape. |
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Qui vole un œuf, viole un veuf. | ||||
© Cousu Mouche, 2006-2007, tous droits réservés |
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