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Chapitre IV |
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Épisode 018 |
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- Alphagor, s’exclama Petitpont. Entre, mon ami. Braquemart fit quelque pas dans la pièce en reniflant autour de lui. - Que mitonnes-tu de si bon matin, Alcyde ? - De la soupe pour le ventre et de la confiture pour le cour. Et toi, Alphagor, malgré ton haleine de bouteille, je te trouve l’oil frais et la peau claire. Aurais-tu suivi cure ou rencontré quelque damoiselle ? - Non, mon ami. Tel que tu me vois, je sors de rivière ! - Sec d’habit et sans jurer ! Cela t’est encore moins coutumier ! - Si je me suis jeté en rivière, c’est qu’il me fallait idées claires. Apprends que je suis en mission au service du duché et que notre avenir à tous dépend de ma lame. - Voilà nouvelle qui effrayerait âme mieux accrochée que mienne, convint Petitpont. Et où te mènera ton périple, brave ami ! - En provinces d’Italie. - Ah ! En terres où l’on professe science de raison, où l’on connaît beauté de l’art. Il est en ces lieux des fresques que je me damnerais pour voir, il est des discussions auxquelles j’aimerais prêter oreille, une musique douce au cour et une assiette pleine à ma table. - Excuse-moi, Alcyde, mais je suis avec toi séant pour que tu me procures quelques potions de ton secret qui m’aideront dans ma quête, non pour t’entendre parler de ces idées nouvelles qui ne donnent ni force, ni foi ! La beauté n’est que croupe de femme, pour le reste, elle affaiblit le bras du téméraire et détourne le chevalier de sa mission. J’avoue que cette Italie ne me dit rien qui vaille. - Tu y fus, pourtant, remarqua Petitpont, vaguement amusé. - Certes, j’y fus, mais sous la bannière du croisé. Je n’y voyais que l’ennemi, Tartare ou Sarrasin, et point tes peintres aux yeux de jouvencelles et aux manières parfumées. - Assieds-toi, mon ami ! Je vais voir ce que je peux faire pour toi. Il posa sur la table cruchon de vin frais et fouilla sur ses étagères à la recherche de quelques poudres et décoctions de son invention. Mais il n’eut point temps de choisir premier remède que l’on frappa de nouveau à la porte. - À moi, meunier, il me faut ta science ! tonna la voix de basse de Gobert Luret. - Entre ! Ne t’échine donc point à réduire chambranle en sciure ! Le meunier entra, soudain timide, se gratta un peu le crâne et se racla les yeux à pleine pogne. - Que t’arrive-t-il mon Gobert ? - Ce n’est pas tant moi, à vrai dire, il s’agirait plutôt de ma douce, mon Isabelle ! - Laisse-moi deviner, Ventrapinte, mon ami, depuis le temps que tu uses couche en seul sommeil, tu as oublié comment on laboure le ventre des femmes. Tu ne sais plus manier le soc, avoue donc ! - Braquemart ! Tu es là ! Je me faisais sang d’encre depuis que Martingale est venu t’arrêter en taverne. Que te voulait-il, ce pisse-froid ? Et que fais-tu ici de si bon matin ? Tu ne t’es point levé à si honnête heure depuis ton retour de croisade ! - C’est que point ne me suis couché ! Le duché me demande, l’héroïsme est ma devise. Je dois repartir en campagne, ô besogneux ami ! Et si tu ne sais plus jeux et gestes de l’amour, suis-moi et je t’en ferai leçon à chaque bourg que nous traverserons ! Alcyde Petitpont fouillait lentement dans ses potions, inspirait, reniflait, et s’en vint poser second cruchon une fois que ses amis eurent épuisé leur soif de parler trop tôt dans le vin blanc. - Voilà pour toi, Alphagor, quelques onguents qui aident le sang à tarir, une poudre de ma composition qui soigne douleur de hure et relève le buveur honteux ; et voici quelques plantes à mâcher, qui trompent la soif et permettent à l’homme preux d’avancer sans eau des heures durant. Quant à toi, Gobert, tant que tu ne m’auras dit ce qui te tourmente. - Devant ce rustre aux manières de Huns, je n’en ai guère envie ! Braquemart tapa sur la table. - Ah, je m’en doutais, tu ne portes plus fièrement ta propre bannière ! Tu es en berne de toi-même, Gobert Luret, mon compagnon. Quand on l’apprendra chez Morrachou. - Cesse donc, je porte encore bannière la hampe roide, mais certes plus comme en jeunesse. Ce n’est pas le faire qui me pose tourment, mais plutôt le combien. Tu n’imagines pas le nombre de fois que mon Isabelle m’a cette nuit arraché au sommeil, alors même que je sentais la bière et que je ronflais foutre fort. Je te jure bien que même en noces je n’avais rien vécu de pareil. - Et tu te plains, benêt ? - Je ne me plains pas, je fatigue ! Alcyde Petitpont se passe la main sous le menton et dit d’un ton docte. - Ta femme arrive à l’âge où sa beauté a besoin d’être confortée. Je crois que le petit voyage que va te proposer Braquemart te sera meilleur remède que toute potion que je pourrais t’offrir. - Et ne crains rien, en ton absence elle ne pourra te faire plus cocu que tu ne l’es déjà ! |
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Dans un couple, l’un sait pile, l’autre sait face. | ||||
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