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Chapitre IV |
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Épisode 019 |
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Gobert Luret fronça les sourcils. - Mais qu’est-ce donc que ce voyage, Braquemart ? Je n’aime guère laisser mon échoppe s’empoussiérer. Petitpont emplit à nouveau les godets et, le cruchon fini, se leva pour en quérir un troisième. Il en profita pour décrocher un lourd jambon qui pendait au mur et dont Braquemart découpa de larges tranches en parlant vite pour oublier que soif se faisait sentir. - Notre duc a un héritier en province d’Italie. Il m’a mandé pour l’aller chercher. Nous partons ce jour d’hui pour Vérone, mon brave Ventrapinte. - Et c’est où, Vérone ? - C’est en Italie, t’ai-je dit ! J’ai ici un pli de la duchesse qui m’ouvrira toutes grandes les portes de ce pays. Le sceau atteste du bien fondé de ma mission, nous nous couvrirons de gloire, mon fier ami ! - Et c’est où, l’Italie ? Alphagor se leva et prit le cruchon des mains d’Alcyde qui revenait. Il se servit forte rasade, le dos droit, dévisageant le forgeron d’un oil sombre. - Et bien l’Italie, c’est. Le meunier tendit le cruchon à Gobert. - Je crois bien que j’ai une vieille carte que j’avais achetée jadis à un marchand de Marseille. Je vais vous montrer. Les godets et cruchons furent poussés au bout de la table et la carte déroulée. Petitpont mit de gros cailloux aux quatre coins pour la garder bien étalée et posa son doigt sur un point tout à gauche. - Minnetoy-Corbières, c’est ici. Il faudra d’abord vous rendre à Toulouse, puis à Montpellier, par Carcassonne. Gobert demanda : - C’est la mer, ça ? - C’est la Méditerranée, oui. Braquemart se redressa, poing sur le cour. - Ah ! Cette flamboyante époque où je fus embarqué sur navire corsaire ! Qu’il me sera doux de goûter à nouveau le sel des embruns, de boire le rhum au tonnelet en grimpant au mât de misaine, tout en braquant ma longue vue, l’oil scrutant les flots infinis, aux aguets du pavillon ennemi ! - Dieu puissant fasse qu’il ne te manque main pour te tenir audit mât et que tu ne cherres dans quelque barrique de harengs ou sardines. - Que me chantes-tu meunier ? Qui monta le plus vite au pommier du gros Louis le jour où nous jouâmes à touche-cougnettes avec le taureau du Berthoux ? T’en souviens-tu seulement ? Petitpont soupira sans répondre et tendit le cruchon à Braquemart pour éviter que narrade ne s’égare plus avant. Et, comme le nourrisson cesse de chouiner à l’approche du sein, Alphagor ferma clapet et téta son godet avec bel entrain laissant au meunier le magister de la parole. - Ensuite il vous faudra longer la mer. Vous passerez Marseille, Toulon, Nice avant d’entrer en Italie. Il sera peut-être sage de contourner ces grandes villes pour éviter de vous y perdre. - Comment pourrait-on s’y perdre, meunier ? J’ai voyagé, naguère, et je sais lire les étoiles et le vent. Et, dans ces villes, on trouve toujours taverne accueillante où demander son chemin. - C’est justement de ce péril dont je parlais, Alphagor, mon ami. Mais laisse-moi poursuivre. Le passage en Italie ne sera peut-être pas facile. Le duché de Savoie ne nous voit pas d’un bon oil et des bandes armées descendent fréquemment des montagnes. Il est en proche Italie des princes fous qui détroussent le voyageur et sont le déshonneur de ces terres de renouveau et de beauté. Éloignez-vous des convois trop bien nantis et préférez les sentiers éloignés avant de gagner Gênes. Vous passerez ensuite par Plaisance pour atteindre enfin Vérone. - Mais c’est à plus de 250 lieues, s’écria Gobert ! - Aussi faudra-t-il que je vous prépare quelques provisions de bouche et quelques tonnelets. - Voilà bonne raison de ne pas traîner. Retournons au village et préparons nos montures. |
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Regarde le doigt, il pointe la lune. | ||||
© Cousu Mouche, 2006-2007, tous droits réservés |
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