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Chapitre IV |
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Épisode 021 |
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Le hameau de Cassone prospérait à moins de quatre lieues du bourg de Minnetoy-Corbières, blotti contre un château de guingois. Les mâchicoulis noir de suie attestaient du nombre de fois que le maigre édifice avait été incendié, et donc avait changé de mains. Fargerand et Fustironcle de Cassone étaient frères jumeaux. Ils devaient à une sage femme distraite de ne jamais avoir su lequel était l’aîné. Tous deux régnaient donc sur leur fief dans une entente un peu froide. Si à leur naissance ils avaient été tant semblables que même, en aurait-elle eu l’intérêt, leur mère n’eût pu les différencier, à bientôt 40 ans, les deux frères ne se ressemblaient plus que par même haute stature et pareille méchanceté. Fustironcle, bien qu’aussi laid que son frère, aimait à paonner en somptueuses vêtures et se targuait d’avoir beaucoup plus de conquêtes que le hameau comptait de damoiselles. Fargerand était gras comme verrat et presque aussi sale. Ils avaient hérité des terres à la mort de leur père. Robert Charles de Cassone, frère cadet du duc François Cymandre de Minnetoy-Corbières, était décédé d’une chute de cheval lors d’une partie de chasse. L’histoire dit que Robert, qui, bon vivant, avait pour coutume d’abuser du bon vin en toute occasion, avait tant bu cette fois-là que son écuyer avait dû le lier à la selle. À la poursuite d’un renard, au plus fort du galop, une branche basse l’avait fait basculer et il s’était retrouvé sous son cheval. La tête martelée par les jarret de l’animal, Robert prit son mousquet et fit feu dans son abdomen. Le cheval s’effondra et Robert, coincé dessous, rendit l’âme peu après, le dos broyé et le col ployé tant qu’il pouvait regarder au ponant alors que sa bedondaine pointait au levant. Ces dernières paroles furent pour ses fils accourus larmes aux yeux auprès de leurs pères aimés : « Soyez pieux, à la messe comme à la couche ! » Suite à cet accident, les jumeaux avaient fait vou de sobriété et ne buvaient vin qu’en église, et encore avec parcimonie. Ils suivaient commandement de leur père en priant de none à complies et donnaient chaque année enfant à leur épouse réticente, si bien que, même mal mariés et vivant grise vie, ils jouissaient chacun de quatre héritiers, la plupart étant morts en couche, heureusement. Depuis toujours, ils lorgnaient sur le fief de leur cousin, Freuguel Childeric. Le plus petit duché de France se rabougrissait peu à peu et l’autorité des armes ducales franchissaient à grand peine les frontières du bourg, d’autant plus depuis le revers subi lors de sa dernière campagne contre la Baronnie du Rang Dévaux. Quoi qu’il en fut, Minnetoy-Corbières n’était pas un lieu à faire rêver. Il se disait un peu partout qu’affubler pareille terre, couverte de rares arbustes et de cailloux, si pauvre en hommes et si peu glorieuse, du titre de duché n’était rien moins qu’hérésie. Mais voilà ; Freuguel Childeric était duc, Fustironcle et Fargerand ne l’étaient pas. Cette injustice leur donnait aigreur de ventre. Il exhalaient la pourriture de l’envie à chaque fois qu’ils ouvraient clapet. Fustironcle était le plus roué, Fargerand le plus impatient ; mais tous deux ourdissaient à longueur de journée. Cela leur prenait le temps du boire et du manger ; encore que Fargerand s’enfilait en gueule livres de gibier en mastiquant à peine et bouffait cochonnailles à s’en couvrir le visage de rougeurs et de pustules. Mais prendre plaisir à autre chose, qu’à imaginer Freuguel Childeric déchu de son trône, aucun des deux ne le pouvait. Pour ourdir, ils ourdissaient, quelquefois de concert, mais le plus souvent dans le dos de l’autre. Un trône ducal ne se partage pas et les deux frères n’imaginaient pas céder la place. Le premier à poser le cul en sale d’apparat du donjon de Minnetoy-Corbières n’en bougerait plus. Tous deux le savaient et ouvraient en conséquence, se méfiant l’un de l’autre tout en jouant l’harmonie agenouillés côte à côte en église et esquissant le signe de croix avec semblable dévotion. Mais pour l’heure, ils unissaient leurs efforts pour assurer la déchéance du duc. Ils avaient leurs hommes de mains et leurs fines oreilles et projetaient leurs plans dans l’ombre. La disgrâce qui frappait leur cousin leur avait été révélée par voix différentes. Comme toujours Fargerand avait été le premier à réagir. C’est lui qui avait envoyé Hugues-Godion de Villenaves en mission, alors que Fustironcle aurait volontiers attendu quelques temps encore, sûr que le fiel qui suintait de son esprit allait lui inspirer pire stratagème sous peu. Quand Hugues-Godion de Villenaves se présenta au château de Cassone, les jumeaux l’attendaient assis sur le trône ; Fargerand dévorait pilons de dindes les yeux mi-clos, le corps mangé par les mouvements d’impatience. Fustironcle plongé dans un missel semblait indifférent à tout ce qui se passait autour de lui. C’est pourtant de sa bouche sèche que sortit un filet de voix aigre. - Alors, de Villenaves ? |
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En avril, ne te découvre pas d’un fil, en mai, fais ce qu’il me plaît. |
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© Cousu Mouche, 2006-2007, tous droits réservés |
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