![]() |
||||
![]() |
||||
Chapitre IV |
||||
Épisode 022 |
||||
De Villenaves ploya le genou, se racla la gorge et dit d’une traite la phrase qu’il craignait devoir prononcer. - Je crains, Messeigneurs, que l’affaire ne soit point si simple. Le duc est certes aussi mortecouilles que la rumeur nous l’annonça ; mais il paraîtrait qu’héritier sien vit en province d’Italie. - Héritier sien, s’étrangla Fargerand. Quel est encore ce subterfuge ? - Sans doute que fiançailles furent plus fécondes qu’épousailles, si je puis m’exprimer ainsi. L’héritier vivrait en province d’Italie et poursuivrait études avant de venir prendre le duché de plein droit. Fargerand frappa d’un point vigoureux sur le plat d’étain. La sauce grasse lui souilla l’habit et quelques pilons volèrent au travers de la pièce. Il en récupéra un au vol d’un mouvement de bouche machinal ; il mâcha deux fois et recracha l’os à ses pieds. Puis il dit d’une voix sourde. - C’est une catastrophe ! - Ce jour même, un chevalier proche du duc a été envoyé en mission. Il se rendra en province d’Italie pour ramener l’héritier à son trône. - Il faut agir ! Et vite ! Qui est ce chevalier, quelle sera son escorte ? - Le chevalier Alphagor Bourbier de Montcon est à mon oil un grossier énergumène. Je le vois mal porter arme et blason avec fierté. Ses prouesses au goulot ne font guère de doute, mais il n’a point l’oil ni le geste qui font les hommes d’épée. Je dois toutefois dire que certains, en cuisine du château, le considèrent avec respect malgré ses excès de bamboche. Il revient, paraît-il, de sanglante croisade. Fustironcle releva les yeux de son missel dont lecture semblait l’assoupir. - Croisade ? C’est ridicule. Les grands-parents de nos grands-parents ne gardent même pas souvenir de la dernière des dernières croisades. Il se fait siècles que nul ne songe plus à Jérusalem. Et pour tout dire, certains prétendent que les Turcs font le siège de Constantinople. - Peut-être, mais les gens croient à ses histoires. On prétend que sa présence en armée eût changé le sort de la guerre du Rang Dévaux et que la Duchesse lui dut vie sauve en cette occasion. - Dieu que les gueux peuvent être ineptes et crédules ! Fustironcle se replongea dans la lecture alors que son frère trépignait toujours sur sa chaise et finit par lancer le plat à travers la pièce pour tromper son énervement. - Et l’escorte ? Qu’en est-il de l’escorte, Villenaves ? - Je n’en ai point entendu mention. Le chevalier de Montcon est homme qui se débrouille seul. Il n’a qu’un gros lard de forgeron, aussi soiffard que lui, en guise de compagnon de chopine plus que d’écuyer. On dit qu’ils ne séparent guère. On peut dès lors penser qu’à deux ils partiront, mais à part l’enclume et le gourdin, on m’a assuré que ce sous-fifre ne connaît rien à la science des armes. C’est une pitié ! Et je ne vous ai point encore dépeint leurs montures. une rosse étique et une mule revêche, aussi imbibées que leurs maîtres. Je doute fort que sur de telles bêtes ils ne parcourent plus de dix lieues par jour. À ce rythme, il leur faudra plus d’un mois pour arriver en Italie, autant pour en revenir si encore ils trouvent l’enfant. Vous avez tout temps d’agir. - Parfait. Appelons mercenaires ; et que ces fanfarons finissent égorgés en forêt ! C’est dit. À nouveau, Fustironcle leva l’oil. Il semblait las, légèrement attristé. - Mon frère, ce n’est point là solution la meilleure ! - Que dis-tu, bougre d’indolent ?! Il faut qu’il crève, qu’il périsse, qu’il saigne pour qu’un jour nous gagnions notre trône. Fustironcle n’en avait pas fini de déplorer le peu de cervelle de son frère. Il se contentait de soupirer en levant les yeux au plafond dont les solives noircies rendaient l’endroit lugubre même en plein jour. - Il faut surtout que ce chevalier nous mène à l’héritier. Si une gorge est à couper, c’est bien celle du dauphin. Si le chevalier meurt en chemin, Freuguel Childeric en enverra un autre. Et nous n’aurons pas toujours un espion sous la main pour le savoir. Non, ce qu’il nous faut ce sont des hommes assez habiles pour suivre ce chevalier de Montcon jusqu’en Italie. Et une fois l’héritier entre ses pattes, les lames pourront sortir du fourreau. |
||||
Le mou plaît plus au matou qu’au chat. | ||||
© Cousu Mouche, 2006-2007, tous droits réservés |
||||
![]() |