Chapitre IV
 
Épisode 023
 

Dans la salle d’armes du château de Cassone, les mercenaires s’essayaient qui au maniement du mousquet, qui à celui de l’épée. L’odeur de la poudre se mêlait à celle de la fumée, et les hommes, le corps fatigué, expulsaient de longs jets de salive noirâtre. Il en était des éclopés, des esquintés, des trop velus. Mais les hommes d’élite de Fargerand et Fustironcle semaient la peur dans la région et leur réputation aiderait un jour à remplacer bannière au château de Minnetoy-Corbières.

Quand Fargerand et Hugues-Godion parvinrent en salle d’armes, nul ne sembla se soucier de leur présence. Certains lutinaient en vers, d’autres s’insultaient en ferraillant dur, d’autres encore s’avachissaient à bout de souffle et regrettaient l’absence du réconfortant cruchon. Car Fustironcle ne cessait de le leur répéter : « Le vin empèse le geste et floue l’oil le plus vif ; vous pourrez faire fortune à nos côtés, mais vous ferez fortune le gosier sec ! ».

Le non-boire rendait les plus vivants mélancoliques, mais ceux qui tuaient bible en poche y trouvaient matière à inventer de sang-froid embuscades et tortures qu’ils n’auraient jamais imaginées en temps de buveuse rigolade. C’est à ces hommes à l’esprit et au cour sec que Fargerand entendait confier sa mission.

Il choisit d’abord le dénommé Baptiste Ménotoire qui, s’il récitait psaumes en latin et connaissait les secrets de la lecture, pouvait broyer les os des tempes par une simple pressée entre pouce et index. Les articulations de ses doigts blanchissaient, ses lèvres tremblaient, mais le crâne cédait. Il avait faciès abrupt comme falaise, et son crâne rasé semblait un caillou. Une de ses oreilles avait été emportée par un dogue. Baptiste était un peu lent au maniement des armes et, pour tout dire, il ne visait guère juste, mais on l’avait vu prendre taureau à bras le corps et lui briser la colonne et l’encolure en l’enlaçant de trop fort.

Les frères Stebouf étaient le digne complément de Ménotoire. Ils avaient de ruse ce que Baptiste avait de force. Trois poils sous le menton, la chevelure filasse, ils avaient exercé la filouterie dans les ports des Provinces-Unies. Menacés par trop de geôles, ils étaient partis vers le sud pour se faire oublier. Les frères de Cassone les avaient enrôlés lorsque la renommée des frères Stebouf leur parvint. Plusieurs marchands des bourgs voisins s’étaient plaint de voir leurs recettes disparaître et même certain curé ne retrouvait plus sa dîme. Oncques n’avait pu savoir comment les voleurs opéraient ni leur mettre main sus.

Mais Fargerand et Fustironcle avaient relations dans les louches milieux. Une offre alléchante leur avait attaché les frères Stebouf et ils en usaient pour les basses besognes qui demandaient finesse et renardise.

Hérard, le plus jeune, lançait le coutelas avec une précision d’orfèvre. On l’avait vu tuer écureuil à 60 pas. Un oil fermé, il se penchait légèrement en avant et se balançait d’un pied l’autre les bras pendant, et soupesait son arme, le regard dardé sur sa proie. Puis, brusquement, il s’arquait vers l’arrière, son bras lancé loin derrière et, d’un mouvement entier du corps, il lançait l’arme qui transperçait la bête alors même que l’air sifflait encore. Il parlait peu et son verbe était aussi tranchant que sa lame.

Greult, l’aîné, avait pour arme un fil de fer attaché à deux poignées. Il se déplaçait comme une ombre, ses pieds frôlant à peine le sol, sans bruit. Il étranglait avec passion, sa bouche contre l’oreille de sa victime, lui déclamant sa mort en vers.

Tous deux excellaient au maniement de l’épée et, auraient-ils à se combattre l’un l’autre un jour, le combat n’aurait de fin.

Fustironcle et Fargerand n’avaient qu’une confiance limitée en Ménotoire et les frères Stebouf. Aussi se décidèrent-ils à leur adjoindre leur homme de confiance, Hugues-Godion lui-même.

Hugues-Godion réunit ses compagnons un peu à l’écart et leur fit miroiter éternelle reconnaissance de Fustironcle et Fargerand et bonne place assurée en château de Minnetoy-Corbières. Il recommanda aux frères Stebouf de ne point trop se laisser aller à rapines en chemin.

- Nous ne devons prendre nul risque, avoir armes et âme dédiées à notre seul but ; faire disparaître à jamais l’héritier de Minnetoy-Corbières. Nulle bourse, nul convoi, nul marchand égaré ne saurait nous en détourner.

Les trois mercenaires opinèrent la tête basse, mais le sourire torve, l’expression chafouine, des frères Stebouf, n’étaient point marque de gens de parole.

 
 
Quand le mouton broute, enlève ton pied.