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Chapitre V |
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Épisode 025 |
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Gobert lâcha son jambon qui roula sur l’herbe jusqu’aux pieds de Braquemart, qui le ramassa machinalement. - Eh bien, Ventrapinte ? Tu laisses échapper la viande et tu voudrais que je te confie ma dague ? Gobert respirait à peine. La lame de son agresseur lui entaillait la chair du cou. Il lui était impossible d’ouvrir la bouche. Il entendait autour de lui des frémissements en buissons. Les canailles rampaient pour encercler Braquemart qui, le jambon sur l’épaule, se déchaussait les dents à tirer sur le bouchon de sa gourde. Gobert remua un peu. Mais la pression de l’arme se fit plus insistante. Quelques gouttes de sang furent arrachées à la chair. - Ne fais pas le galouzeau, tu y perdrais le gras de ton lard ! Et le cri de Gobert lui resta en gorge. Déjà les ombres se précisaient derrière Braquemart, qui se renversait maintenant gourde en bouche en pétant dru pour mieux apprécier l’instant. Le forgeron vit le premier brigand paraître l’épée haut levée. C’est alors que Lucien rua en rêve. Gobert et Alphagor savaient depuis fort longtemps que le cheval avait le sommeil remuant ; pas l’assaillant qui ramassa un coup de sabot dans le bas-ventre et qui émit un sifflement aigu en s’écroulant sur lui-même. Braquemart se retourna enfin. - Foutregueuserie de vertugadin ! Quel est ce drôle ? Quelle est cette embuscade ? Un brigand bondit de buisson, sûr de son geste et de sa dague. Il fut cueilli d’un coup de jambon dans les badigoinces et s’écroula entre les jambes du chevalier. Alphagor faisait tourner la pièce de viande à bout de bras, l’oil furibond. Il pointa un doigt menaçant sur l’agresseur de Gobert. - Toi qui tiens mon compère, lâche-le incontinent ! Il ne sera pas dit que je boirai sans lui avant jour de ma mort ! Le brigand ne savait plus comment agir, pétrifié à la vue du grand soiffard qui paraissait pris de folle gigue, un jambon à la main, et qui poussait maintenant des cris guerriers dans une langue inconnue. Gobert sentit la pression se relâcher à sa gorge ; la lame n’appuyait plus sur sa chair. L’intrépidité n’était point le fort de Gobert, mais il se savait la pogne solide et le crâne plus encore. Les convives du Sanglier Noir à l’heure de dispute, et particulièrement le nez du gros Louis, pouvaient en témoigner. Il baissa doucement le chef, comme pris de fatigue, et, son agresseur ne réagissant point, projeta sa tête en arrière en y mettant tout son poids. Il attendit un craquement d’os et un gargouillement étouffé. Le couteau tomba mollement au bout d’une main inerte. Gobert se releva en se massant l’arrière du crâne, puis piétina son agresseur non sans quelque allégresse avant de rejoindre son compagnon. - Crois-tu qu’il en reste en buisson ? - Sans doute. Tu sauras te servir du jambon ? - Aussi lestement que toi, Alphagor, je peux te le jurer ! - Alors, prends-le. Ils tâteront de mon épée ! Braquemart passa le jambon à son compère et sortit du fourreau une épée qui, bien qu’ébréchée, semblait aiguisée en diable. - Et la gourde ? Tu ne me passes pas la gourde ? ! - La question de la gourde est certes délicate et mérite réflexion. - Mais, Bougremissel ! Je n’ai rien bu depuis début de chrétienne ère, moi ! Comment veux-tu que je combatte la gorge sèche ? - L’argument est de poids, Ventrapinte, mon ami. Braquemart et Gobert se postèrent dos à dos. Seule la glotte du forgeron, montant et descendant au rythme lent de la marée, troublait le silence. Rien ne bougeait autour d’eux et les cigales reprenaient timidement leur concert. Braquemart sentit gouttes de sueur lui emperler sourcils. Il se racla la gorge et dit de forte voix : - Je suis le chevalier Alphagor Bourbier de Montcon, en mission spéciale pour le duc de Minnetoy-Corbières. Montrez-vous ou fuyez mon chemin, manants ! Si vous attendez que les trois bouses molles qui gisent à terre reprennent conscience, nous avons temps d’allumer feu, de cuire notre rôt et de deviser la nuit durant plutôt que d’imiter ainsi statues. Dans les buissons, nul bruit ne se faisait entendre. |
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Qui pète sait d’où vient le vent. | ||||
© Cousu Mouche, 2006-2007, tous droits réservés |
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