Chapitre V
 
Épisode 026
 

Braquemart regardait partout autour et levait sa garde au moindre bruissement de feuille. Gobert, ayant posé sa gourde un instant, s’essuyait le mufle du revers de la manche et ne quittait pas les taillis des yeux, le jambon bien en pogne.

- Bougremissel ! Qu’attendent-ils ?

- Peut-être la nuit, qui sait ? Holà, galapians ! Vous ne savez point vous battre en gentilshommes ? !

Le silence seul répondit. Gobert finit sa gourde d’une seule lampée puis la lança dans les buissons.

- Voilà tout ce que vous aurez, vilains ! Pour le reste, venez-y donc le quérir.

Rien.

- Crois-tu Dieu possible que nous les ayons tous assommés, Ventrapinte ? Et que nous soyons ainsi figés l’arme au vent, pour la seule joie du lièvre, du merle et du marcassin ?

- J’ai l’oreille fine, Braquemart et je t’assure que j’ai entendu ramper tout autour de nous.

- Eh bien, soit ! Attendons.

Et, déplorant que gourde fût vide, attentifs au moindre mouvement, prêts à combattre, Gobert et Alphagor restèrent aux aguets durant de longues minutes.

***

Non loin de là, en clairière, Hugues-Godion de Villenaves gardait les chevaux en se rongeant les ongles. Il se calma enfin en voyant revenir Baptiste Ménotoire portant un brigand sur chaque épaule. Baptiste était taillé comme un ogre et on ne se relevait guère d’avoir rencontrer son poing. Derrière lui venaient les frères Stebouf, qui traînaient leurs victimes par les pieds.

- Aucun problème, Messieurs ?

- Certes, non, dit Greult Stebouf en se massant les reins. Ces quatre trotte-menu ne nous ont pas même entendus venir. Mais s’ils sont fort lourds, ils n’ont pas pièces en bourse, ce qui me chagrine.

De Villenaves fronça le nez et dit avec morgue.

- Mes maîtres sauront vous récompenser grassement lorsque nous aurons rempli notre tâche. Point ne vous est besoin de grappiller miettes.

Hérard but sèche gorgée d’eau et grogna.

- La suite ne me dit rien qui vaille.

- Expliquez-vous, Stebouf. Je vous avoue que je n’aime guère les rouspéteurs, les traînards et les marchands de sombres présages. L’affaire est bien montée et nous sommes des hommes solides. Je ne vois donc pas pourquoi vous vous montrez inquiet. La première escarmouche s’est passée sans coup férir. Il y aurait plutôt de quoi se réjouir !

Baptiste grogna et Hérard lui passa la gourde. C’est Greult qui prit la parole.

- Nous sommes tombés d’accord tout à l’heure, lorsque nous rampions en buisson. Les deux drôles savent certes agiter cruchon et jambon, mais là semble s’arrêter leur valeur. Ce sont de vrais nids à catastrophe. Ils seraient morts dans cette embuscade si nous n’étions intervenus. Vous les auriez vus, de Villenaves, c’était une vraie pitié ! Ils se sont jetés comme des ânes dans les bras des premiers brigands venus. Des brigands que nous avions repérés depuis une demi-lieue. Sur la route d’Italie, ils devront éviter hommes d’une autre trempe, vous pouvez m’en croire. Et s’ils montrent là même discrétion et le même talent au combat, c’est de notre promptitude au fourreau que dépendra leur salut. Les préserver jusqu’au bout du voyage ne sera pas chose facile, même pour nous. Tout cela laisse augurer quelques empoignades sévères et de mauvais guets-apens. Or, que je sache, ce n’est point pour jouer leurs anges gardiens qu’on nous a engagés, mais pour les éliminer.

Ménotoire de sa voix douce ne disait rien d’autre.

- Au pas de leur mule et de leur canasson, nous allons périr d’ennui sur nos montures. Ce n’est pas tant les empoignades que je crains, mais de devoir traverser le pays entier de la lente foulée des anciens.

Hérard passa un doigt sur le fil de son coutelas.

- Je dis qu’on doit les égorger tout de suite.

De Villenaves exhala un soupir et les toisa tous d’un infini mépris.

Il nous les faut vivants, Stebouf, vivants jusqu’à Vérone. Aussi nous battrons-nous pour leur vie avant de les tuer.

-C’est à n’y rien comprendre.

-Nul ne vous demande de comprendre. Je m’en charge pour vous tous. Contentez-vous d’agir, c’est pour cela qu’on vous paie.

 
 
Seul le canon communiste tire à boulets rouges.