Un jeune drôle posté devant l’auberge se saisit sans mot dire de Lucien et Bourrue puis demanda un sol au chevalier.

Braquemart, un instant surpris, monta sur ses ergots et toisa le jeune homme en lui arrachant des mains les rênes.

- Bas les pattes, mon garçon ! Nos montures s’abreuvent et logent avec nous !

- Vous me voyez fort embarrassé, mes seigneurs, mais point ne vous est permis d’entrer ci-dedans avec vos destriers. Croyez-m’en qu’ils seront bien mieux en écuries et que je me ferai honneur de les bouchonner et de les abreuver, si bien sûr cela est de votre désir.

Braquemart se tâta un instant puis jeta piécette.

- Ainsi soit fait, foutredieu ! Mais prends grand soin de Lucien et Bourrue. Et pas plus d’un litre par bête ; elles doivent être fraîches aux aurores car nous avons encore longue route devant nous.

- Il en sera comme vous l’ordonnez, Monseigneur.

Ils regardèrent le garçon disparaître sous une porte cochère suivi de leurs montures.

La porte de l’auberge était de bois massif bardé de fer. L’enseigne pendait au-dessus de la porte en grinçait doucement bercée par la tramontane. Gobert ouvrit et ils entrèrent en taverne comme qui entre en église.

Il leur fallut bonne minute pour que leurs yeux s’habituassent à la pénombre. Une odeur de bière, de vin et de lard grillé leur caressa les narines dès l’entrée. Un brouhaha de voix et de rires leur laissait deviner forte assistance et quand enfin leur revint la vue, tous deux soupirèrent d’aise comme cochon en soue.

Le Porc buvant portait bien son nom tant l’assemblée mettait bon cour à vider futailles. Deux accortes filles faisaient fi des pinçons audacieux et se frayaient chemin, pleines chopes en main, pour abreuver la mâle assistance. Du plafond pendaient jambons et saucissons et, au fond de la salle, un feu ronflait dans la cheminée, léchant la peau dorée d’un cochon de lait en broche. Sur la droite, un comptoir au bois gorgé de bière, patiné au coude, supportait une horde de buveurs vociférant. Le patron versait godet sur godet et empochait piécettes dans son grand tablier de cuir.

Gobert regarda Braquemart qui souriait.

Un nouvel arrivant les bouscula dans l’entrée qui marmonna une manière d’excuse et disparut dans la cohue. Un refrain gaillard fut entonné lorsque l’une des deux servantes gifla à pleine main un luron à la patte trop crochue. C’était une forte fille, ronde comme poularde et rousse comme pomme mure. Son généreux parpal débordait d’une cote lâche lacée et on devinait sous le jupon la cuisse solide et la croupe pleine. Ses beaux bras ronds avaient bien force d’homme et le luron, bien que riant avec ses compères, comptait ses dents du bout de la langue.

- Que voilà lieu avenant. Je vais de ce pas courir lutiner cette forte garce et sois certain que c’est elle qui me paiera bientôt à boire.

- Va comme tu l’entends, Braquemart, moi seul godet me chaut. Je vais tenter ma chance au comptoir et retrouve-moi à la première gifle.

***

Un homme se tenait en fond de salle ; son couvre-chef posé sur la table à côté du pichet de vin rouge qu’il vidait consciencieusement, emplissant son verre à mouvements réguliers. Il portait bel habit et large chemise dont il avait retroussé les manches, en homme qui a appris à éviter taches et souillures. Il contemplait la salle avec un demi-sourire. Il lui restait peu de cheveux, sa barbe blanche était finement taillée et il ne lui manquait nulle dent. Les autres ne s’asseyaient point à sa table parce qu’il les dépassait en raison et en manières.

Il fit signe à Gobert, noyé dans la foule, de s’approcher.

- Vous êtes bien urbain, Monseigneur.

Et la table vibra lorsque Gobert laissa tomber lourdement son postérieur sur le tabouret. Il portait une chopine en chaque main.

- Vous avez là bonne soif, ce me semble !

- Bougremissel ! Si vous saviez comme il faut jouer des coudes et de la voix pour se faire servir ! Je n’imaginais pas que pareille foule puisse s’entasser en taverne. Imaginez, Monseigneur que j’ai dû m’y reprendre à quatre fois pour obtenir pinte. Avouez que vous en auriez pris deux vous aussi.

- Sans doute, mon ami, sans doute.