Chapitre VI
 
Épisode 031
 

Gobert et Braquemart se concertèrent du regard ; Gobert pour savoir s’il n’était point trop périlleux de se livrer ainsi à inconnu en taverne et Braquemart pour inciter son compagnon à interpeller Marion, qui obstinément l’ignorait. Le forgeron hocha la tête en signe d’assentiment et leva haut la main pour recommander à boire. Braquemart se racla gorge et narra la poitrine haute.

- Il faut dire, et je m’en honore, que moult faits d’armes me firent connaître bien au-delà de ma paroisse et de mon duché. Et si j’ai fait beaucoup pour la réputation de Minnetoy-Corbières en ma jeunesse jusqu’aux murailles des Sarrasins, le duc Freuguel Childeric ne me laisse pas en juste repos. Je ne peux lui donner tort lorsqu’il affirme que nul en son fief ne saurait s’acquitter de missions délicates avec autant de zèle, d’audace et de discrétion que moi. Quand il m’appelle, je m’incline et je prends la route !

- Et quelle est donc cette mission qui nécessite homme de votre trempe ?

Gobert ne quittait pas la serveuse des yeux et tentait d’attirer son attention sitôt qu’elle venait à servir près de leur table. En vain. L’accorte Marion passait près de lui mais ne prenait garde à ses simagrées, se contenta de jeter un regard noir sur le chevalier. L’autre fille de salle, quant à elle, vaquait à l’autre bout de la taverne. Gobert tapa du poing.

- Qu’as-tu fait à cette gueuse pour qu’elle nous refuse ainsi à boire ?

Mais Braquemart était tout à sa conversation avec le capitaine Courtevoile.

- Alors là, Le Roulis, vous vous faites par trop curieux. Je sais tenir ma langue surtout lorsqu’il est question de coucheries de duchesse et d’héritage. Vous n’aurez de moi pas un mot de trop !

- Et votre destination ?

- Je puis, je crois, vous dire que nous allons en provinces d’Italie.

Le Roulis se redressa et passa lentement sa main dans sa barbe en contemplant les deux compères.

- Il se peut, Messieurs, que j’aie proposition à vous faire !

Braquemart leva alors un index péremptoire.

- Mes amis, si cette conversation doit devenir sérieuse, il faudrait oindre dignement gorges qui y prendront part. Ventrapinte, as-tu recommandé à boire ?

Le forgeron s’empourpra.

- Eh bien j’essaie et j’essaie mais sans succès. Je ne sais pas où tu as posé les mains sur cette garce mais depuis elle semble nous vouloir morts de soif !

Le Roulis sourit et leva un doigt. Un nouveau pichet de vin leur fut porté à table incontinent. Et la Marion ne manqua point d’en laisser couler quelques gouttes sur le plastron de Braquemart qui sembla peu perméable à l’outrage et en profita pour lui effleurer la hanche.

- La voie de terre pour atteindre provinces italiennes est fort mal fréquentée. Ce n’est point douter de votre talent et de vos lames que de vous dire que, sans escorte, vous ne passerez pas.

Braquemart ne cacha point son ébahissement et considéra le capitaine de pied en cap.

- Vous proposeriez-vous de nous servir d’escorte ! ? Point ne voudrais vous faire insulte, mon cher Le Roulis, mais.

Le Roulis leva la main et eut un lénifiant sourire.

- Non, mon cher, vous n’y êtes pas du tout. Et pour corroborer le jugement de votre regard, j’avouerai que je n’ai plus l’âge de courir la campagne. J’aime la mer, sachez-le ; et mon voilier mouille au port de Palavas depuis des mois faute d’équipage. Si je trouvais quelques hommes motivés, je pourrais vous mener jusqu’à Gènes, en Italie.

Gobert frémit.

- Je suis né sur le plancher des vaches et j’y mourrai, croyez-le bien !

 
 
Qui boit bon coup a bon coude.