Chapitre VI
 
Épisode 032
 

Hugues-Godion de Villenaves attendait tout près de taverne, engoncé dans une encoignure.

Entrer en Montpellier sur les talons des deux ivrognes avait été somme toute aisé ; ces deux-là ne connaissaient point les visages de leurs anges gardiens et étaient trop enivrés pour se douter qu’ils étaient suivis.

De Villenaves avait eu crainte de les perdre dans la cohue, mais quand il les avait vus entrer dans la première taverne qui s’offrait à eux, il avait enfin sourit. Greult Stebouf avait été désigné pour les suivre à l’intérieur.

- Alors ?

Greult Stebouf revenait de taverne la démarche légèrement chaloupée. Il sursauta en attendant Hugues-Godion et s’arrêta incontinent, posa paume au mur et dit d’une voix plus pesante aux syllabes que d’ordinaire.

- Dieu qu’ils boivent dru, ces drôles. Certains craignent sorcières ou démons des bois, eux sont effrayés par chopine vide. Ils me donnent tournis à seulement les voir.

De Villenaves laissa percevoir légère moue de dégoût, il se recula d’un pas, releva le chef, et reprit, le ton plus hautain.

- Votre haleine démontre seule que vous ne vous êtes point contenter d’observer, Stebouf. Mes maîtres et moi n’aimons guère que l’on mélange ainsi mission et débauche.

Stebouf hoqueta, rit d’une voix grinçante, avant de pointer un index péremptoire pour signifier son désaccord à celui qui le tançait.

- Je sais aussi bien que vous que main ferme et oil frais, sont nécessaires à ma tâche, mais si point n’avais consommé, on m’aurait vite repéré et jeté hors de taverne, vous pouvez m’en croire ! Déjà qu’en entrant j’ai failli me faire repérer en buttant contre ces deux imbéciles.

- Passons. Qu’avez-vous appris ?

- Rien de bon pour nous, je le crains. Ils ont rencontré un vieux marin qui leur propose de les convoyer en bateau jusqu’en Italie.

- Mais comment, pourquoi donc ?

- Le vieux s’est pris d’amitié pour eux. Il souhaite leur éviter escarmouches et autres traquenards de la route.

Hugues-Godion se passa lentement la main sur la joue, avec perplexité.

- Cela ne me dit rien qui vaille. Une amitié ainsi née me semble, pour tout dire, fort suspecte. J’imagine mal un fils de Dieu doté de sens, s’attacher ainsi à deux vide-bouteilles aux us forts grossiers et aux rustres propos. Il faudra tâcher d’en savoir plus sur ce vieillard, Stebouf.

- Vous voulez que je retourne en taverne ?

- Si ce n’est toi, ce sera ton frère ! Et vu ton état, ce sera certes lui ! Et dis-moi quand comptent-ils embarquer.

- Le vieux se rendra sur le port de Palavas dès potron-minet pour engager paires d’hommes d’équipage. Deux amis siens l’aideront à la manouvre. Le chevalier et son compère cuveront vin jusqu’à midi. Ils joindront ensuite le port et ils comptent bien larguer les amarres avant fin de journée !

- Demain. Fichtre ! Cela nous laisse fort peu de temps pour trouver la parade.

- Les bateaux ne manquent pas au port, il suffit de rompre cordage et de leur coller aux trousses. Ainsi, nous les suivrons de mer comme de terre.

- Et qui le dirigera, le bateau, bougre de tête vide ! Ni toi, ni moi, Stebouf ne sommes des hommes de mer !

Hugues-Godion réfléchit quelques instant, puis il dit, dans un demi-sourire.

- Nous allons procéder au plus simple. À l’aurore, lorsque le vieux quêtera des hommes sur le port, nous serons là à lever la main. Nous récurerons peut-être le pont, sans doute nous abaisserons-nous à souquer ferme, mais du moins, nous ne laisserons pas filer notre proie.

 
 
Celui qui pleure en amont aime à entendre l’aval qui rit.