Chapitre VI
 
Épisode 033
 

Le Roulis expliqua avec force geste le chemin à prendre pour se rendre au port de Palavas, puis quitta la taverne après avoir commandé et payé une solide provision de cruchons, de quoi, au mieux de gorge d’homme, abreuver ses imbibés compagnons jusqu’à la fermeture. D’une démarche rapide, Le capitaine s’enfonça dans les ruelles, se retournant plusieurs fois pour s’assurer que point on ne le suivait, puis se glissa sous une voûte de pierre et frappa au battant à coups discrets.

- Qui va là ? demanda une voix de femme endormie.

- La Surelle, c’est moi, Le Roulis. Ouvre-moi ta porte et cours réveiller ton homme !

Un grognement lui répondit. Peu après, l’huis s’ouvrit sur une touffe de cheveux ébouriffés. L’homme qui se raclait la gorge jusqu’au nombril et crachait longs glaviots verdâtres dans un pot de chambre devait à son oil droit à demi fermé son surnom de Paupière. Il n’était point de ceux que l’on aime croiser de nuit. Il allait ouvrir la bouche pour protester mais Le Roulis le coupa.

- Entrons, je ne peux parler ici.

Il pénétra d’autorité dans le taudis. Paupière ferma la porte et les deux hommes s’assirent à une table bancale qu’éclairait un triste falot. La Surelle leur posa bouteille et deux godets sales puis se retira.

- J’ai trouvé belle solution pour livrer les arquebuses.

- Que viens-tu insister, Le Roulis ? Je sais qu’Alfonsi nous les réclame à hauts cris et que l’affaire nous permettrait de vivre gras jusqu’au trépas, tu me l’as répété mille fois ! Mais je te redis qu’on y risque la hart !

Le capitaine leva les sourcils et remplit d’autorité les verres. Il en tendit un à Paupière.

- La cargaison est en train de pourrir dans ma cale, elle doit être livrée. et je sais comment !

- Je me refuse à accoster une nouvelle fois en Italie. C’est trop dangereux. Je me préfère la bourse vide que le chanvre au cou !

Le Roulis eut un sourire chafouin et donna un coup de coude dans le lard de Paupière.

- Et si nous restions au large ?

- Que dis-tu ?

- Je crois que j’ai trouvé deux pigeons de belle envergure. Il nous suffira de les mettre en chaloupe. Ils transporteront la marchandise. Et s’ils se font prendre nous n’aurons qu’à virer de bord et à rentrer au port.

- Et l’argent, comment comptes-tu le récupérer ?

- Envoie deux de tes hommes de confiance directement chez Alfonsi. Sitôt la marchandise entre ses mains il les fera payer. Nous n’aurons qu’à attendre que l’argent nous revienne en buvant vin frais sur une terrasse ombragée.

Paupière hocha la tête, et vida son godet à lentes lampées.

- J’espère juste que tes imbéciles ne sont point leurre du Capitaine des archers ! Je trouve qu’il tourne un peu trop autour de nous depuis peu.

- Celui-là, je le paie assez pour qu’il ferme les yeux. S’il tourne autour de nous, c’est simplement pour qu’on n’oublie pas de lui verser sa part. Et si tu as le moindre doute, suis-moi en taverne et tu les verras de près, mes chalands. Des bouseux de campagne aux manières de verrats, fierté de paon et cervelle de moineau.

Le Roulis joignit les mains et ajouta, l’air angélique.

- Une vraie bénédiction pour une corporation comme la nôtre !

- Va donc pour tes deux pigeons ! Mais nous ne serons pas assez pour manouvrer, il nous faudra des hommes sur le pont. Des hommes qui ne sont point trop connus par ici et dont la disparition passera inaperçue.

- J’y songeais. Demain, dès l’aube, tu te rendras sur le port pour y pourvoir. Il y a toujours des étrangers qui cherchent à s’embarquer pour quelques sols et qui ne regardent pas à la cargaison. Je me chargerai de réveiller mes imbéciles matin venu. Vu ce qu’ils sont en train d’ingurgiter, je crains qu’il ne faille quelques bons seaux d’eau pour qu’ils reprennent esprits.

 
 
Truie sait bien ce que vivra verrat.