n port de Palavas, les marins se frappaient dur sur le dos et les premiers pêcheurs prenaient le large alors que le soleil nouveau n’était point encore né des flots.

Hugues-Godion de Villenaves, Ménotoire et les frères Stebouf avaient préféré ne point prendre couche et gagner Palavas de nuit pour se tenir là, fiers à l’appel, lorsque le Roulis pointerait son nez.

Mais le Roulis ne vint pas comme ils l’espéraient héler les marins à la cantonade. De fait, il fallut tout le flair de Greult Stebouf pour remarquer un homme de mauvaise allure qui passait d’un groupe à l’autre, disait quelques mots, écoutait, agitait les bras et repartait l’air de plus en plus courroucé.

- Que fait-il là, ce drôle ?

- À quoi bon t’en préoccuper si ce n’est pas notre homme ?

- Il ne me dit certes rien qui vaille, mais il se pourrait qu’il fût homme de notre homme. Je vais aller m’enquérir discrètement. Ménotoire, file-moi le train, au cas où ce bougre là serait aussi méchant qu’il en a l’air.

Et Greult Stebouf longea le port à pas rapides, suivi d’un Ménotoire placide qui ne semblait pas avoir Dieu compris qu’il était hors de sommeil. L’homme les vit arriver et les considéra, un oil à demi fermé, l’air peu amène.

- Holà ! bonhomme, tu me sembles en quête.

- Et vous me paraissez en besoin de piécettes. Je déteste cela. La mer est aux marins, point aux banquiers !

Paupière était accroché à sa bourse plus qu’à sa compagne ou à sa propre vie. Il supportait mal de se départir de son argent, plus encore s’il l’avait malhonnêtement soutiré ou gagné en fines contrebandes.

- Je suis chargé par mon capitaine de recruter des hommes. Nous partons pour provinces d’Italie. Et vous n’imaginez pas ce que les rapaces de votre espèces me demandent !

- Je ne l’imagine certes pas, mais quel que soit ce prix, mes amis et moi partons pour moitié.

Paupière releva l’oil. Un demi-sourire se dessina sur ses lèvres. Il n’avait jamais vu ces hommes avant sur le port. Ils avaient autant l’air de marins autant que lui d’une dentellière, mais qu’importe. Le voilier de Le Roulis se manouvrait les yeux fermés et ils seraient dommage d’avoir à éliminer de vrais marins.

- Tu parles de tes amis. Combien êtes-vous ?

De Villenaves et Hérard s’approchaient justement. Greult répondit :

- Nous sommes quatre, et fort aguerris. Nous avons navigué longtemps sur l’Atlantique et sommes mêmes allés aux Indes !

Paupière eut un fin sourire. Son oil entrouvert jaugea les quatre hommes. Si un seul d’entre eux savait différencier poupe de proue, il voulait bien manger son chapeau.

- À ce prix-là, je prends le risque de vous engager. Je crains que le capitaine enrage et vous agonise quand il vous verra en manouvre. Mais ne vous en faites pas, il crie plus fort qu’il ne mord.

- Et où est-il, ce capitaine ?

- Il est en ville avec deux riches marchands que nous devons mener en Italie. Vous verrez. Des particuliers venus des campagnes, loin, près de Toulouse. Le capitaine m’a dit qu’ils étaient très pittoresques.

- Tiens donc, dit Hugues-Godion en se frottant les mains. Nous nous réjouissons de les connaître.

Paupière ouvrit les bras et entraîna son nouvel équipage.

- Venez, nous allons boire le tafia pour sceller votre engagement.