Chapitre VIII
 
Épisode 037
 

ant bien que mal, l’équipage improvisé avait su manouvrer pour sortir du port où, heureusement, seules quelques barques de pêcheurs croisaient. Sous les hurlements de Paupière et de Le Roulis, de Villenaves et ses sbires couraient en tous sens sur le pont, l’oreille se faisant peu à peu au vocabulaire maritime et aux jurons épicés de Paupière. Les voiles se gonflèrent sitôt qu’elles furent hissées et ils mirent cap sud-est. Le Roulis tenait la barre, fixait l’horizon sans ciller et, enfin, ne hurlait plus d’ordre.

Hugues-Godion de Villenaves se laissa choir sur le sol de la cabine. Il avait briqué le pont sous la harangue du capitaine, tandis que ses compagnons transportaient en cales innombrables caisses de bois. Ils avaient ensuite démêlé filins, grimpé aux mâts pour vérifier l’état des cordages et poulies. Jamais il ne s’était abaissé à si dégradantes et si épuisantes tâches. Il était exténué et prenait ce court répit comme une délivrance. Mais il ne perdait pas de vue sa mission.

Quand ils vinrent s’effondrer à ses côtés, il ne laissa point aux frères Stebouf loisir de prendre la pause que leur corps réclamait.

- Filez discrètement à la cale tous les deux !

- Maintenant ? Mais enfin, ce tortionnaire va nous rappeler d’un instant à l’autre pour un virement de bord.

- Incontinent ! Je veux savoir ce que ces fourbes convoient. Ils nous ont engagés sans y regarder de trop près et je suis convaincu qu’il y a là-dessous mauvaises combines. Je préfère prévenir les coups fourrés qu’en subir les conséquences.

Les frères Stebouf se retirent en grognant. Ils n’eurent guère de mal à se glisser en cale ; le Roulis gardait le cap tandis que Paupière était fort occupé à se gausser de Gobert et Ménotoire qui, hommes de terres indécrottables, supportaient mal la danse des vagues et refluaient boissons et ripailles du matin à grands bruits par-dessus bastingages. Le marin riait à gorge déployée, incapable, comme bien des hommes de large, de résister au spectacle de nausée des novices et de ne point montrer du doigt la verdeur soudaine de leur teint.

Braquemart, inquiet du nombre de bouteilles et cruchons emportés pour la traversée, prenait de l’avance à grande lampée tandis que son principal compère ès soiffardise n’était point en état de lui faire concurrence.

Les Stebouf ouvrirent trois caisses et constatèrent qu’elles étaient toutes emplies d’arquebuses et de poudre. Ils se regardèrent d’un air entendu. En leur temps, ils avaient pratiqué noble art de contrebande, et leur découverte leur donnait maintenant impression de connaître un peu mieux le capitaine et son homme de main. Ils reclouèrent soigneusement les caisses pour masquer leur passage.

Des relents d’hilarité secouaient encore Paupière lorsqu’ils apparurent sur le pont. Braquemart exécutait une drôle de danse, tant il voyait triple et peinait à mettre pied devant l’autre, tangage de boisson n’épousant guère tangage de bateau. Ils s’empressèrent de regagner leur cabine.

- Des contrebandiers ?

La nouvelle suffit à faire lever Hugues-Godion, qui arpenta la cabine de petits pas nerveux.

- Je n’aime pas ça. Je n’aime pas ça du tout. La contrebande cela suppose des hommes de l’autre côté de la frontière qui réceptionneront la marchandise. Et je me demande foutre quel rôle sera réservé à nos deux drôles. Je crois qu’il faudra encore que nous nous tenions prêts à les défendre.

 
 
Qui célèbre la chair fougueusement, fête fort aine.