Chapitre VIII
 
Épisode 038
 

Ménotoire entra alors en cabine ; il avait faciès de cire et son oil donnait vertige à qui le contemplait de trop près.

- Nous sommes mandés sur le pont. Le capitaine souhaite nous parler.

Il s’exprimait d’une voix de corps vide et ses compagnons durent tendre l’oreille pour l’entendre.

- Que nous veut-il encore ? s’enquit Hérard Stebouf qui caressait le vain espoir de se reposer enfin.

La voix de Le Roulis lui répondit, hurlant depuis la barre et faisant vibrer cloisons.

- Alors bande de vils fainéants, marins de marais, pieds de cul ! Allez-vous vous lever de vos coussins princiers ? Croyez-vous donc que nous vous payons pour dormir ? Dépêchez-vous ! Mon second va vous assigner vos tâches pour la traversée.

Et les hommes de Fargerand sortirent un à un de cabine. Ménotoire, bon dernier, semblait aux prises avec les divers ressac qui se jouaient de son ventre.

- Toi, le grand, reste avec moi ! dit Le Roulis en l’agrippant au passage.

Il l’entraîna au mât de misaine.

- Hisse-toi là-haut. Tu scruteras les flots et nous préviendra si tu perçois voile sur l’horizon. Celui que l’on croise en mer est rarement un ami et je préfère pouvoir me dérouter assez tôt.

- Vous désirez vraiment que...

- Monte, pied de cul, monte avant que je ne te martèle fessard. Ah que je regrette de n’avoir jambe de bois pour bien te pilonner le fondement !

Et Ménotoire affaibli, étourdi, serra les poings et ravala son envie de fracasser le crâne du capitaine. Il aura tout son temps de laver les affronts arrivés en Italie. Il hissa son corps trop lourd jusqu’à la plus haute vergue en suant plus que de raison. Il se tint là, son gaster se tordant du tangage, rendant au vent nourriture qu’il n’avait plus .

- Le pauvre garçon n’a rien pris à boire, capitaine, remarqua Braquemart, assis sur le pont, un goulot entre les cuisses, pris de crises de rire soudaines et inexpliquées qui lui faisaient rougeoyer une hure pourtant déjà fort cramoisie.

- Certes chevalier, mais cela n’est pas votre problème. Vous devriez vous reposer.

- Alors que nous prenons mer, jamais ! Donnez-moi autre cruchon et je me saisis de la barre. Je me sens l’âme à tenir bon cap !

- Je n’en doute pas. Votre courage et votre présence nous autorisent tous les espoirs. Mais vous et votre compagnon avez mission à remplir, ne l’oubliez pas. Et pour la mener à bien, je vous assure qu’il vous faudra prendre des forces.

Braquemart se leva, prenant appui contre le bastingage et manquant faire basculer Gobert par dessus bord.

- Que nenni, capitaine ! Fatigue guère ne m’atteint et je ne m’accorde vrai sommeil que lorsque j’ai atteint objet de ma quête. Un vrai chevalier ne ferme l’oil que lorsqu’il a l’âme au repos ; apprenez-le donc.

Ulcien Courtevoile fronça les sourcils et gonfla sa voix comme grand-voile.

- Je suis seul maître à bord après Dieu, Monseigneur le chevalier. Aussi, je ne tolérerais pas que vous me brisiez plus longtemps poche à semence...

- Mais...

- Il suffit. Prenez au cou le sac à vomi qui vous sert de compagnon et filez vous coucher. Votre repos sera aussi celui de réserve de gnôle. Je n’aimerais pas que nous fussions à sec avant de voir les côte italiennes.

Braquemart baissa la tête, bredouilla d’inintelligibles excuses ; prit par le bras Gobert, qui hoquetait encore un peu mais reprenait semblant de vie, et gagna cabine en emportant fort cruchon.

Le Roulis restait immobile sur le pont à grommeler vastes imprécations. Paupière le rejoignit bon sourire aux lèvres.

- Je crois avoir eu fort raison. Ils ne connaissent certes rien à voile et moins encore à mer, mais ils sont mieux docile que je n’imaginais. Pas un mot, pas de râle, ni de récrimination. Ils font ce que je dis, sans même qu’il me faille répéter.

- Sèche ton sourire, Paupière. Tes nouvelles diantre m’inquiètent !

- Je ne comprends pas, Le Roulis.

 
 
La main frivole frôle la menthe.