Chapitre VIII
 
Épisode 041
 

À l’heure d’embarquer, alors que Gobert ne connaissait pas encore mal de mer et s’enquerrait avec insistance de l’heure des repas et du contenu des assiettes, Paupière avait décrété bien haut que, pour se rendre en Italie, il n’était pas nécessaire d’emmener homme de cuisine, que le pain, le saucisson et le lard gras suffiraient amplement à maintenir les hommes sur leurs pieds ; et que, s’il manquait, il n’y aurait qu’à pêcher.

Au soir, après une sieste brève qui ne l’avait guère reposé mais qui avait eu don de lui ouvrir l’estomac, se ramentevant les propos du second, Braquemart se rendit dans la réserve à la recherche de bonnes pièces grasses capables de lui tuer la faim au plus vite. Il lui restait bien un jambon et demi que Petitpont leur avait confié, mais la route serait encore longue jusqu’à Vérone, alors autant ménager ce qu’à la bouche viendra sûrement à manquer.

Les hommes d’équipage se reposaient contre le bastingage. Le capitaine ne tarderait pas à envoyer les hommes se coucher.

Dans la réserve, il tomba sur Greult Stebouf. Le mercenaire lui jeta un regard noir et cessa de mastiquer son bout de couenne.

- Holà ! matelot, quelques brèches à colmater ?

Braquemart éclata d’un grand rire niais, s’amusant fort de sa boutade et crachant bons glaviots lorsque son hilarité mua en quinte de toux. Il reprit enfin souffle, toujours sous le regard acéré de Stebouf.

- Il est vrai qu’à tant se vider le ventre par-dessus bastingage, faim revient avec la bonace. Reste-t-il pièce de lard pour calmer les grondements du monstre qui rôde en mon gaster ? Et veux-tu boire un coup, matelot ?

Ce disant, il sortit flacon d’une de ses manches et le tendit aimablement. Greult cracha par terre et sortit de la réserve, en mordant dans sa couenne. Braquemart, rendu philosophe à grands coups de futailles, haussa les épaules et farfouilla dans les sacs de toile cirée.

***

Alphagor s’était enfilé, quartier après quartier, une lourde plaque de lard qui faisait ses deux livres et que l’on avait salé à triple couche.

Il ramena accorte bouteille de piquette en sa cabine et s’étendit tant bien que mal dans ce filet pendu aux cloisons par deux extrémités et que les barbares appellent hamac. Il se souvenait avoir vu Alcyde Petitpont prendre le frais dans ce genre de couche. Ce meunier avait toujours eu de drôles d’idées.

Le sommeil cueillit le chevalier tant il était mûr à point. Juste à côté, Gobert ne cessait de s’agiter en hamac comme poisson en nasse.

- Alphagor ?

- Mmmmh ?

- Mon ventre semble se tourner et se retourner au gré des eaux. Et tu sais que je déteste cet élément pis que bran de bouc. Je n’arrive point à fermer l’oil, Bougremissel !

- Tu n’as point eu sans doute ton content de boisson. J’ai ramené là fort bon vin de la côte pour mes petites soiffades de la nuit. Sers-toi seulement.

- Je crains de ne point arriver à garder en gaster même bonne piquette, Braquemart. Le sais-tu ? La vérité est que je crois n’aimer ni trop long périple ni chemin de mer.

Braquemart s’agita en sa couche pour tourner le dos à son compère, mais manqua choir, ce qui attisa sa colère.

- Mais, foutremouise de vertugadin ! Vas-tu donc me laisser dormir ? !

Comme le forgeron se taisait, Braquemart se calma incontinent. Il lui jeta un coup d’oil en coin, tentant d’en discerner les contours dans la lueur de la lune. Luret avait les yeux ouverts et perdus au plafond.

- Ventrapinte, mon ami, Le Roulis m’a dit avec raison que nous devions quelques forces garder pour accomplir notre mission et ramener l’héritier. Dors, compagnon, tu me diras demain ton tracas.

 
 
Qui tient un parapluie ne crache pas en l’air.