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Chapitre VIII |
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Épisode 044 |
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Gobert, sa faim oubliée incontinent, regagna sa cabine sans même s’offrir tranche de lard. Il s’approcha de Braquemart qui ronflait lourd et faisait en soufflant entre ses lèvres mêmes sons que Lucien son cheval produisait d’un tout autre instrument. Le forgeron secoua son compère pour l’éveiller, doucement, d’abord, puis de plus en plus violemment. Une paire de gifles bien appuyées n’étant parvenue qu’à le faire grogner, il retourna le hamac. Braquemart se retrouva au sol avec grand fracas. Sa langue claqua contre son palais à trois reprises, comme pour en évaluer l’état de sécheresse puis il ouvrit enfin les yeux. - Quoi encore ? - Il se produit céans curieuses manigances, Alphagor. Braquemart regarda autour de lui et se releva sur un coude, son entendement tardant à comprendre ce qu’il faisait cul au sol. - Tu me narreras cela demain, Ventrapinte. - Je ne le puis, Alphagor. Il faut que tu saches. Je crains qu’on ne s’entre-tue non loin d’ici. Braquemart fronça les sourcils, sommeil cédant place à colère. - On s’entre-tuera même tout près d’ici si tu continues à me bourses briser ! Je dors, Gobert ! C’est là, noble activité, la plus noble peut-être à laquelle l’homme peut se livrer lorsque point ne guerroie, ni ne prend jouvencelle, ni ne vide tonnelet ! Sur ce, il grimpa dans son hamac et tourna le dos à Gobert. - Le Roulis et Paupière ont tué un homme, un des hommes d’équipage, je crois bien. Cette fois, Braquemart était bien réveillé. Il s’assit même sur sa couche, manqua choir mais se rattrapa d’une main à l’épaule de son compère. - Tu essaies de me dire, Gobert Luret qu’il se produit céans curieuses manigances ? - Bougremissel, enfin tu m’écoutes ! - Tes yeux et ta vaillance seuls auraient mis à jour assassins et comploteurs alors même que je me laissais aller au sommeil ? - Certes, oui. Le chevalier tapota l’épaule de son ami et descendit de sa couche pour lui faire face. - Gobert, mon ami. Je ne sais ce que tu as cru voir, ce que nuit t’a soufflé comme contes et chimères. Mais je puis t’affirmer bien haut que tu te fourvoies. Jamais, un chevalier de ma trempe et de mon expérience ne serait resté en couche en cas de danger. Le danger, je le hume, je le sens, il colle ma dextre à l’épée, il me tient bien droit dans les ténèbres pour faire face à l’ennemi. Et là, je dormais comme nourrisson. Sais-tu pourquoi ? Gobert fit signe de dénégation. - Parce qu’il ne se passe rien, à part dans ta pauvre tête ! Si l’image de ta belle les fesses prises par pognes du boulanger était revenue te chatouiller le cour et te causer chagrin, il se peut que j’eus fini par te prendre en pitié et que je me fus abaissé à te servir d’escorte jusqu’au pain, au lard et à la gnôle. Mais, pour de telles fredaines, il est hors de question que je quitte cette couche ! Bonne nuit. Pour la deuxième fois, il grimpa en hamac et se renfrogna derrière ses sourcils froncés. Gobert n’osa pas insister. Les ronflements de Braquemart recommencèrent bien vite à faire vibrer les cloisons. La poussière tombait des poutres et lui piquait les yeux. Longtemps, il resta assis. L’expression haineuse de Paupière revenait en son entendement, la fausse bonhomie de Le Roulis aussi, plus encore peut-être. Il y voyait bien du péril. Et ainsi sur la mer, sur ce bateau où l’on ne pouvait rien fuir, il se sentait fort désarmé. |
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Fauche le champ qui aime chercher aiguille. | ||||
© Cousu Mouche, 2006-2007, tous droits réservés |
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