Chapitre IX
 
Épisode 045
 

es hommes avaient été tirés de sommeil par Paupière une heure avant le lever du soleil. Greult avait remarqué que Hérard n’était point dans son hamac. À peine sur le pont, le second l’avait envoyé dans les mâts pour vérifier la voilure. Tout là-haut, il avait vue sur le pont entier ; de la poupe à la proue il ne voyait point son cadet. Absorbé par sa tâche, il n’y pensa point trop. Mais l’inquiétude le faisait frissonner.

Il interrogea Ménotoire qui retendait les haubans de misaine. Le géant n’avait pas vu Hérard, pas plus que de Villenaves. Greult, qui n’avait jamais été séparé de son frère, sentait les serres de l’angoisse lui presser le cour.

Sa tâche terminée, le soleil était au-dessus de l’horizon. Il s’essuya le front et s’avança vers le second qui le considérait avec morgue. Stebœuf avait le visage creusé à force d’angoisses. Ses poings tremblaient alors qu’il disait à Paupière d’une voix de lame.

- Mon frère a disparu ! Ce matin il n’était plus en cabine. Je ne le trouve point sur le bateau.

Du gaillard d’arrière, Le Roulis fixait l’horizon en maintenant la barre. Il dit d’un ton sentencieux :

- Homme qui n’est plus sur le bateau est à la mer.

Stebouf cherchait à se contenir mais sa voix partit dans les aigus.

- À la mer! Mon cadet qui point ne sait nager !

Sa main cherchait l’arme dans son dos, prête à gorges trancher. Derrière lui, Hugues-Godion lui saisit le poignet et le serra jusqu’à ce que ses jointures blanchissent.

- La mer était mauvaise, cette nuit, dit Paupière, ses yeux ne quittant pas ceux de Hérard.

- Mais enfin, cela n’a aucun sens. Pourquoi mon frère ce serait-il aventuré sur le pont en pleine nuit ?

Il l’avait bien entendu sortir de la cabine à pas de loup alors que la lune était déjà haute. Hérard s’était retourné avec un clin d’oil et avait mis un doigt sur ses lèvres. Greult, perclus, s’était rendormi incontinent.

- Il était de quart. Je lui avais demandé de surveiller si le sillage était bien droit et de me réveiller au besoin. Il aura été emporté par une lame.

Le second mentait. Stebouf le savait. À tant mentir lui-même, il reconnaissait le mensonge avant qu’il glisse hors de la bouche.

Le second le dominait d’une demi-tête. Un poing sur la hanche il enfonça son doigt dans la poitrine de Greult, martelant chacun de ses mots. La paupière de son oil à demi fermé tremblait dans son courroux.

- Maintenant, écoute-moi bien, mon ami. Je pourrai t’écouter te plaindre à loisir lorsque nous serons en taverne. Mais en mer je ne tolère ni les pleurs ni les cris. Marin tu es, et en marin tu dois te comporter. Alors, redouble d’ouvrage, et en silence ! Sans quoi je te fais passer par-dessus bord rejoindre ton frère ! Est-ce clair ?

Greult Stebouf aurait volontiers sauté au cou du second pour le voir suffoquer ses mauvaises paroles, glisser dans son dos et lui passer son filin autour de la gorge, le serrer jusqu’à ce que langue sorte et tête retombe. Mais il se retint, bave acide et tête basse. Sans Paupière et Le Roulis, ils ne pourraient piloter ce navire de malheur et retrouver terre. Hugues-Godion ne lui avait pas dit autre chose en lui serrant le bras.

 
 
Course folle, rotule molle.