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Chapitre IX |
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Épisode 046 |
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Greult Stebœuf n’était pas dupe des paroles de Paupières. Son frère pris par une lame ? Hérard ne se serait jamais tenu près du bord par gros grain pour seul plaisir de braver les éléments. Et de gros grain, de toute la nuit il n’en avait point senti dans son sommeil, lui qui avait l’estomac retourné à la moindre vaguelette. Si son cadet était vraiment tombé à l’eau, Greult était bien sûr qu’on l’avait un peu aidé. Pour l’heure, avant de se laisser aller aux larmes, il voulait en avoir le cour net. Hérard était peut-être mort, en train de nourrir les poissons, mais s’il ne l’était pas, cela voulait dire qu’il était reclus dans un recoin de ce bateau. Quand le capitaine et le second se retirèrent pour leur repas, il laissa la barre à Baptiste et descendit en cale. Patiemment, il déplaça, les caisses d’arquebuses, dans l’espoir d’y trouver Hérard, assommé ou ficelé. Il allait déclarer forfait lorsqu’il entendit un frottement au sol, là, entre ses deux pieds. Il repoussa encore deux caisses, et dégagea un petit trappon qui s’ouvrait sur la quille. Il n’avait pas rêvé. Quelqu’un bougeait là-dedans. Il tira sur la poignée de corde et vit son frère, ficelé et bâillonné, engoncé dans une cache. - Hérard ; je savais bien que tu étais en vie. Il vit les yeux de son frère s’agrandir, mais ne put parer à temps le coup de massue qui lui émietta la nuque. - La curiosité est un vilain défaut, dit Paupière. Greult n’en entendit pas plus avant de sombrer dans l’inconscience. *** Lorsque Hugues-Godion s’étonna auprès du capitaine de l’absence du second frère Stebouf, celui-ci ne daigna pas même faire semblant d’entendre et l’envoya nettoyer sa cabine. Les jours suivants furent tout entier faits de suspicion et de mauvais regards. Se retrouvant seuls, Baptiste Ménotoire et Hugues-Godion de Villenaves avaient fort à faire et redoublaient d’ardeur à la tâche. Ils soupçonnaient même que Paupière leur ajoutait d’inutiles labeurs pour les empêcher de se concerter une seconde. Au gouvernail, Paupière et Le Roulis discutaient à voix basse. Le capitaine se grattait la barbe. - Il faut les occuper sans quoi, ils nous poseront problèmes. Le gros est plus fort qu’un bouf et je n’aimerais pas qu’il me pose la main sus. - Ils ne savent manouvrer. Ils ont besoin de nous. - Et les deux frères ? - Oh, il suffit Le Roulis ! J’ai assez bourlingué sur les mers pour que tu ne mettes en doute ma capacité à ligoter la canaille. - Et les deux idiots ? - L’un rend ce que l’autre ingurgite ! Je crois qu’ils ne se sont pas parlés. Ou alors ils jouent les ahuris mieux qu’on ne peut l’imaginer. Seul le plus gros m’a jeté un regard en biais ce matin, mais il est maintenant trop occupé à se retourner les entrailles à la mer pour songer à ce qu’il a vu l’autre nuit. - J’ai tout de même hâte de voir ces deux foies-sans-fond s’éloigner du bateau en chaloupe... À l’ombre du gaillard d’avant, Braquemart tétait calmement le cruchon en assistant son ami, penché au-dessus de l’eau, qui tendait parfois la main pour s’offrir lampée avant de la recracher aux poissons. - Tu gâches bonne piquette de façon inconsidérée, Gobert Luret. - J’ai soif. Et court passage en ma gorge vaut ma foi mieux que sécheresse de langue. Et d’ailleurs je te répète que tu ferais mieux de tenir pogne à l’épée et de regarder de plus près les agissements du capitaine et de son second. - Oh ! Cesse donc tes chimères, Gobert Luret, et laisse-moi profiter de cette fort agréable croisière. - Chimères ? ! Deux hommes sont passés à l’eau de fort peu chrétienne manière en une semaine. Tu ferais mieux de garder l’oil ouvert, ce me semble. - Us de mer ne sont point us de terre ! Mes voyages m’ont appris de ne point me mêler de conflits auxquels je ne comprends goutte. On me nourrit, on m’abreuve, on me convoie ; cela me suffit Gobert. Je te jure bien que tu as tort de chercher plus loin. Peut-être d’ailleurs est-ce tes malsaines pensées qui te tournent le ventre et te font recracher nourriture, pourtant assez grasses pour n’être point mauvaise. |
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Quand le crocodile ouvre la bouche, prie qu’il bâille. | ||||
© Cousu Mouche, 2006-2007, tous droits réservés |
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