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Chapitre IX |
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Épisode 049 |
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- Mais, Alphagor, on n’en voit pas le bout, de cette mer ; j’ai déjà les bras qui tirent comme après journée de forge. Es-tu sûr qu’il n’y a point dans ces eaux monstres aux longues tentacules qui nous attireront par le fond ? - Cesse de geindre ! Le péril fait partie de l’existence de digne chevalier. Il suffit de l’affronter et de le vaincre. Nous avançons pour l’honneur du duché. Gobert se tut bonne minute, et l’on n’entendait plus que sa respiration et les chocs irréguliers des rames dans les vagues. Les nuages se jouaient de la lune et Braquemart, à califourchon sur les caisses, avait beau plisser les yeux et se mettre main en visière, il était bien incapable de dire si cap était tenu. Il aurait bien aimé, lui aussi, que le dessin de la côte lui paraisse, histoire de se dire que la mer avait une fin. - Il est curieux que cette barque, bien que tanguant comme bouchon, apaise mon mal de mer. Depuis que j’y ai mis le pied, je n’ai plus cette nausée qui m’a fait tout rendre ces jours derniers. - Alors profite la cette soudaine bonne fortune de ton gaster pour mettre plus de cour à ramer. - Je n’imaginais pas que l’honneur du duché m’obligerait à ramer en nuit noire, la gorge sèche. Combien de temps cela fait-il que nous n’avons point roulé les dés avec bon ami autour de vin frais ? - Rame, triste assécheur d’âme ! Rame ! Nous arrivons en terre d’Italie comme cela était prévu. Et nous y arriverons sans peine ! Imagine l’état de ton cul si tu avais dû faire toute cette route sur le dos de ta mule. Nous serons bientôt à Vérone, trouverons le fils du duc pour le lui ramener et être reçu en héros en moins de temps qu’il t’en faudra pour pisser prochain gorgeon. - Et la cargaison que nous transportons ? Es-tu sûr qu’elle ne nous vaudra pas des geôles où l’on oubliera de nous faire boire jusqu’à la fin des temps ? - Gobert, cesse de geindre, ai-je dis ! Cette cargaison, nous nous en débarrasserons en grotte, nous préviendrons cet Alfonsi que livraison sienne est arrivée et nous irons notre pas poursuivre notre quête, c’est tout. Et je puis te dire qu’Italie n’est point plus triste que patrie de France en ce qui concerne vignes et tavernes ! - Bougremissel, j’espère que tu ne dis point ça pour me faire ramer ! Et, de fait, Gobert trouva meilleur rythme. - En ai-je connu tavernes, d’Italie ! Combien de fois suis-je sorti bourse vide et estomac plein, rotant bon ragoût, les joues bien chaudes de trop de vin ! - Et aux dés, y joue-t-on aux dés ? - Des parties mémorables où je t’avoue que je ne gagnais guère. Règles leurs ne sont pas règles nôtres ou, pour dire cela vulgairement, ces gens d’Italie sont de bons vivants mais de foutus tricheurs. Je me rappelle d’un commerçant large d’épaules, contre lequel je jouais belle somme. Je lançai trois double six, en truquant si légèrement la course des dés que le hasard y était presque pour quelque chose. Il me dit que ça ne suffisait point pour gagner et prétendit que ma mère enfanta mille bâtards tandis que ma sour faisait commerce de son corps. Bien que point n’ai-je de sour, je me levai et lui envoyai coup de tête qui restera longtemps en annales ! - Coup de tête en annales ? - Non, point ! Bon coup de tête en poitrine qui coucha net ce fat, mais qui restera longtemps en mémoire de taverne ! - Et alors ? - Règles italiennes sont ce qu’elles sont. Je dus donner piécettes tandis qu’ils se congratulaient en chantant fort. Gobert avait fort oublié que ramer lui tirait sur les bras. On approchait de la côte. Braquemart était soulagé de se dire qu’ils toucheraient terre avant l’aube. |
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Change pas de mât, ça va ! | ||||
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