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Chapitre X |
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Épisode 051 |
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Le Roulis ne mit pas longtemps à comprendre que la situation lui échappait. Il laissa choir son arme et leva les bras, les paumes posées à plat sur son crâne. Il semblait plus ennuyé qu’effrayé par la tournure des événements. De Villenaves se saisit du sabre et tourna autour du capitaine. S’il fut surpris de voir apparaître les frères Stebouf bien en vie et solides sur bottes, il n’en laissa rien paraître. Baptiste Ménotoire se contenta d’un battement de paupières en guise de salut. Il s’approcha de Paupière et récupéra l’argent dans sa poche, puis il saisit le couteau qui le clouait au mât et tira d’un coup sec. Le second s’écroula dans un gargouillis. Baptiste essuya le couteau sur le cadavre puis le tendit à Hérard en guise de bienvenue. Hugues-Godion s’approcha du capitaine en riant fort. - Il semble bien que nous connaissons là un léger retournement de situation, capitaine ! - L’affreux bruit par lequel tu ponctues ton triomphe te restera un jour en gorge. Je souhaite que l’existence te frappe assez fort pour t’apprendre la modestie. Le capitaine baissa les bras et les croisa sur sa poitrine d’un air de défi. Greult s’approchait déjà derrière, son filin de fer tendu et les poignées bien en main. - Vieillard, tu oublies que ta vie ne tient qu’à un fil. - Non point ! Vous avez besoin de moi vivant. Je vous ai vu manouvrer. Vous ne sauriez point ramener bateau au port par vos propres moyens. - Écoute bien, vil contrebandier. Je me fiche de toi et de ton bateau ! Il me faut retrouver la trace des deux imbéciles à qui tu confias la cargaison ! Alors tu vas me faire plaisir d’accoster au plus vite ! - Non. On aurait dit que Greult Stebouf n’attendait que cette occasion. Vif comme l’argent, il passa son filin autour de la gorge du capitaine Courtevoile et appuya son genou dans le creux de ses reins. Il tira en arrière, juste assez pour que le fil entaille la chair. - Plaît-il ? demanda de Villenaves, qui s’était rapproché. Le capitaine peinait à reprendre souffle. Il répondit en hachant les mots de grands halètements. - J’ai dit non. Les gendarmes gardent la côte avec grand soin et il reste assez d’arquebuses à notre bord pour tous nous faire engeôler. Ce n’est pas ainsi que tu rejoindras tes gaillards ; pas vrai moussaillon ? - Vrai, consentit Hugues-Godion. Greult renforcit sa prise et les yeux de Le Roulis roulaient dans leur orbite. Il articula avec peine. - Il vous reste deux solutions. De Villenaves fit un signe à Greult qui laissa reprendre souffle au capitaine. - Merci. Soit je vous mène au large de France en des lieux féconds de pêche. Et je paie un pêcheur pour qu’il vous mène à terre. - Et pourquoi ne le ferais-tu pas toi-même ? - À terre, je ne vous serai plus d’aucune utilité. Et je crois autant à ta clémence que je te croirais si tu prétendais être ma mère ! Hugues-Godion entendit un murmure réprobateur de Ménotoire. Il devait se demander ce qu’il faisait là à discuter plutôt que de tuer ce vieillard et de trouver ensuite solution raisonnable entre eux quatre. Il sentit la sueur lui envahir l’habit, mais il ne voyait pas comment reprendre pied. Bien qu’habile à ourdir et fort de sa lame, il avait bien moins d’expérience sur le terrain que ces hommes de sac et de corde. Hérard Stebouf, s’avança à son tour. Écartant le sabre de Hugues-Godion, il pointa son couteau sous l’oil du capitaine. - Et là deuxième solution ? « Sa voix est plus froide que sa lame », pensa Le Roulis avant de répondre : - Il y a une autre petite barque, en poupe ! - Quoi ? Cet esquif ridicule ! Nous n’y tiendrons jamais. Le Roulis avala sa salive et ne quittait pas la lame des yeux, ce qui le faisait loucher comme curé sur parpal de bergère accorte à confesse. - En vous tassant bien, vous y tiendrez tous les quatre. Il vous faudra juste prendre garde à ne point éternuer pour ne pas vous mettre à l’eau ! - Soit, dit Hugues-Godion d’une voix forte, cachant mal sa vexation, bafouée qu’il se sentait que Hérard se soit permis d’ainsi prendre les devants. Va pour la barque. Ils attachèrent solidement Le Roulis au mât et mirent la barque à la mer. Ils emportèrent chacun un mousquet, des mèches et suffisamment de balles. Hérard et Greult montèrent alors deux barils de poudre sur le pont et les disposèrent de chaque côté de Le Roulis. Le bout d’une corde enduite de goudron fut introduite dans l’un des barils, l’autre bout pendant par-dessus le bastingage. - Voilà qui te tiendra chaud quand nous serons loin. Les quatre hommes passèrent la rambarde et, à l’aide d’une corde, descendirent jusqu’à la barque. L’embarcation tanguait mais supportait leur poids. Ménotoire dut se mettre au centre pour ne point chavirer. Les rames furent mises en place et de Villenaves poussa du pied sur la coque du bateau pour éloigner doucement l’esquif. Greult alluma la corde goudronnée avec une lanterne qu’il avait emmenée et regarda avec un rictus mauvais la flamme escalader lentement la coque. |
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La flamme peut aussi brûler l’adroit. | ||||
© Cousu Mouche, 2006-2007, tous droits réservés |
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