Chapitre XI
 
Épisode 054
 

ietro Alfonsi aimait se lever à l’aube pour fumer longue pipe d’écume, adossé au mur de sa maison. Son regard se perdait sur le sentier qui traversait ses terres et, au-delà, sur la mer dont les senteurs se dissipaient à mesure que gagnait le jour et que montait le tabac.

Sa vie était faite de contacts, de discussions, de caches étroites et de tavernes où les cris répondaient aux cris et où le couteau sortait quand on était à cours de mots. Aussi savourait-il le silence en connaisseur, le silence et sa liberté qui étaient deux précieux cadeaux de Dieu. Il connaissait les geôles et la question et savait mieux que personne le prix de chaque matin.

Les deux silhouettes qu’il apercevait maintenant ne lui disaient rien. Il se flattait de reconnaître tout homme à sa démarche et se jurait bien que ces deux-ci n’étaient jamais venus en ces lieux. Leur habit les révélait à lui, comme leur coiffe. Hommes de bouses du Royaume de France ; de ces drôles qui ont le fumier collé à la semelle. Même le pourpoint défraîchi du grand ne pouvait cacher la boue dans laquelle flottait sa cervelle. C’était sans doute de peu agiles convoyeurs que le capitaine Courtevoile lui faisait envoyer là. Deux jolis pigeons. Il sourit, les dents serrées sur sa pipe.

Lentement, Pietro Alfonsi déplia un corps qui lui paraissait de plus en plus fait d’humeurs. Il était un temps où chacun de ses muscles lui obéissait au moindre battement de cils. Aujourd’hui, il lui aurait fallut éperons pour le faire avancer au rythme d’autrefois. La vieillesse se dessinait, le gris envahissait ses cheveux. Il était fort encore, mais plus pour longtemps. C’est pour cela qu’il multipliait les livraisons, pour grossir son bas de laine avant que plus jeune que lui ne prenne sa place.

- Oyez étrangers, soyez les bienvenus sur miennes terres, dit-il en un français chantant, pesant un peu trop sur les r et les voyelles.

Braquemart, qui marchait devant, lui rendit vif salut avec moult inclinaisons du chef et grand mouvement de chapeau.

- Nous sommes, mon compagnon et moi-même fort en joie de vous rencontrer. Nous cherchons demeure du sieur Pietro Alfonsi, peut-être serez-vous assez bon pour nous l’indiquer ?

- À cette heure, Pietro Alfonsi est le seul homme que vous trouverez pour vous guider. Messieurs, j’ai bien l’honneur.

- Ah ça, pour une chance, c’est une chance, dit Alphagor en secouant vigoureusement main qu’on lui tendait !

Gobert s’avança à hauteur de son compagnon, les pommettes déjà rougeoyant des idées qui lui venaient en tête.

- Et puisque nous parlons de chance, peut-être vous resterait-il, Monsieur Alfonsi, bonne miche de pain et quelque cruchon pour éviter que pain ne reste en gorge.

- Chers voyageurs, il est dit qu’homme affamé jamais n’est resté à la porte de ma demeure. Et que jamais, homme n’a quitté ma demeure en songeant à suivant repas. Venez donc avec moi !

Avant de passer l’huis d’Alfonsi et de s’engager dans la pièce où l’on sentait déjà effluves de fromages de belles moisissures et de viandes grasses longuement mijotées, Gobert accrocha Braquemart par la manche.

- Que nous contait donc comme fredaines ce fichu capitaine ? Il me semble fort courtois et point dangereux pour un sou, cet homme-là.

- La faim te cloue le jugement, Gobert. Le fond de son oil ne dit pas ce que dit son sourire. Mais viens, je sais être vigilant.
 
 
Poulet de Bresse, flic aux fesses.