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Chapitre XI |
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Épisode 055 |
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Outre chaudron de soupe épaisse qui ronronnait sur le feu depuis la veille sans doute, Alfonsi remonta de cave bonne pièce de jambon, saucisses sèches, pain frais et vin vieux. Il les déposa sur le lourd plateau de cerisier dans lequel il planta couteau avant de disposer gobelets d’étain. Le bruit du bouchon, puis du liquide emplissant godets, tira à Gobert un soupir d’aise avant même de trinquer. Une fois que bouteille fut vidée pour la soif, Alfonsi sortit nouvelle bouteille pour le goût puis, tout en tranchant large dans le jambon, se tourna vers Gobert. - Je crois comprendre que vous n’êtes point montés jusqu’ici dans le seul but de complimenter ma table... Goûts de charcuterie et de vin faisaient bon ménage en bouche de Gobert. Tout entier à son gaster enfin réconcilié à l’existence et à cette basse terre bien stable sous le pied, il ne se voyait pas entamer longue conversation sur leur périple. Il le fit comprendre à Alfonsi en désignant Braquemart du doigt et en grognant plus qu’il déclamât. - Mon ami est chevalier d’importance. En heure où les mots comptent, parole sienne vaut mieux que mienne. Alphagor, à ces mots, carra les épaules et tira son corps vers le haut. Le compliment toujours lui donnait petit air de coq de basse-cour, ce que Gobert ne manquerait pas de conter au Sanglier Noir à leur retour. Leur retour. Dieu puissant qu’il se sentait loin de Minnetoy-Corbières et de sa douce Isabelle ! Lui restait-elle fidèle ou bien se frottait-elle le lard sur l’inconnu ? Pour chasser larme qui lui montait à l’oil, il remplit gobelet qu’il expédia derechef en son gosier. À nostalgie, vive boisson seule est bonne ! - Nous avons convoyé à la force de nos bras lourd chargement en pleine nuit, disait Braquemart, aveugle aux tourments de son ami. Malgré force des flots, nous menâmes à bon port chaloupe pleine comme jamais je n’en vis de ma longue et aventureuse existence. Je me dois toutefois de vous conter triste nouvelle. Je ne sais si Courtevoile subit mutinerie, s’il se méfiait d’hommes d’équipage ou quel malencontreux hasard se produisît après que nous quittâmes son bord. Mais nous vîmes flammes envahir le pont et bateau partir en fumée alors qu’à peine nous touchions terre. Alfonsi ne se troubla pas. Il coupait le saucisson à petits mouvements secs. - Combien de caisses ? - Pardon ? - Combien de caisses avez-vous convoyé ? - Ma foi, pleine chaloupe ! Alfonsi se leva dans un grand rire ! - Ah ! Braves hommes de France ! Vous croyez toujours qu’enthousiasme tient lieu de bon commerce. Mais il me faudra bien compter une par une arquebuses que vous m’avez menées. Pour savoir. - Pour savoir quoi ? - Pour savoir si nous viderons encore cruchons en devisant joyeusement ou si finira ce jour notre fort prometteuse amitié. Alfonsi alla à son seuil et siffla à deux reprises. Puis il se saisit d’un long manteau de feutre qu’il enfila non sans s’offrir godet au passage. - Prenez vos aises, mangez et buvez tant qu’il vous plaira tandis que je descends à la plage vérifier vos dires. Deux de mes amis vont arriver. Ils sont hommes bons, joyeux convives de belle constitution. Attablez-vous avec eux, mais ne cherchez pas à leur fausser compagnie. Ils supportent mal d’êtres abandonnés et cela les rend, je dois le dire, assez féroces ! À tantôt, les amis ! Alfonsi s’éloigna à pas rapides. Braquemart le regarda partir, puis se leva, résolu. Mais à peine atteignait-il porte que survenaient deux solides gaillards dont épaules lui arrivaient bien au nez, et dont poignée de main lui firent craquer phalanges. Braquemart recula à mesure que les hommes avançait, la seule pression de leur torse ne lui laissait guère le choix. Les deux nouveaux venus ne s’exprimaient que dans un patois incompréhensibles. D’autorité, ils remplirent les godets de Gobert et Alphagor et, s’étant eux-mêmes fortement servis, levèrent leur verre pour trinquer. - Ventrapinte, mon ami, dit Braquemart en s’exécutant, nous sommes bel et bien prisonniers. - Pour l’instant, cette prison m’étanche soif et me remplit panse ! Nous aurons tout loisir d’agir quand plaisirs se tariront. |
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Quand la brute lève le bras, l’esthète lève le nez. | ||||
© Cousu Mouche, 2006-2007, tous droits réservés |
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