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Chapitre XI |
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Épisode 056 |
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Pietro Alfonsi, grâce à un cousin bien placé auprès des gens d’arme, connaissait les caches favorites des hommes qui rêvaient fort de lui mettre main au collet et de l’emmener en geôles à Turin, où l’on soumettait à question mieux que nulle part en Italie. Au cours de sa rude existence, Alfonsi avait connu pilori et baquet. Mais il avait beau se targuer d’avoir la peau tannée par les tortures et les coups, pour rien au monde il ne serait retombé entre les pattes des bourreaux. Il s’écarta quelques peu du sentier pour se poster sur un rocher d’où il dominait les falaises et la mer. Lentement il détailla anfractuosités, grottes et promontoires. Tout était calme. Gens d’armes n’étaient point gens d’idées ; comme marmotte retourne à son terrier, ils revenaient toujours aux mêmes nids, aux caches confortables où ils pouvaient téter cruchons en guettant faits de contrebandes. Sûr désormais que nul n’allait lui tomber sus, Pietro poursuivit son chemin en se laissant aller à siffler quelque fredaine sans queue ni tête, mélopée du matin qui lui dansait en esprit. Aussi ne remarqua-t-il pas, en buisson, les quatre hommes qui venaient de s’y jeter pour n’être point vus ; et pourtant chevelure de Ménotoire dépassait de deux bons pouces du feuillage. - Pourquoi nous griffer ainsi la chair en ronces, grogna Hérard Stebouf. Ce drôle ne présentait nul péril. Et peut-être pouvait-il nous mettre sur la trace de ce fichu chevalier et de son gras compère. - Nous sommes, Hérard, en terres étrangères. Aussi discipline est-elle de mise. Tais-toi donc et obéi à mes ordres. Hérard se tut, mais Hugues-Godion sentit bien le plus jeune des Stebouf n’avait rien pardonné de l’altercation de la nuit et comptait, moment venu, lui faire rendre gorge de chacune de ses paroles. Sur la plage, Alfonsi examina les traces de pas, s’interrogea, puis repéra chaloupe et barquette mal dissimulées. Il se dirigea alors vers la grotte où il trouva bien vite les caisses. Il ôta les couvercles de quelques-unes pour considérer les arquebuses. Il compta les caisses et ressortit sous le soleil. Il remonta à pas lents pour mûrir décision sienne. Certes, il savait qu’il devenait de plus en plus difficile de mener arquebuses à bon port ; et il ne paierait pas pour marchandise qu’il n’avait pas reçue. Mais, d’un autre côté, homme de sa trempe, ne pouvait laisser impunie livraison d’à peine moitié de ce qu’il avait commandé. Il se doutait bien que les deux hommes qu’il avait accueillis en sa maison n’étaient que comparses ; il éprouvait même bonne sympathie pour les enthousiastes de bouteilles qui laissaient pensées sur le seuil des lieux où l’on buvait et qui dansaient d’enthousiasme lorsque gnôle était bonne. Mais la réputation est exigeante déesse. Elle ne supporte pas qu’on la trahisse, surtout quand le poids des ans se fait sentir et qu’envieux pointent museau de toute part. Alfonsi ne pouvait faire montre de faiblesse, pas devant les siens. Arquebuse point assez il n’avait reçu ; les deux imbéciles lui payeraient son dû ou périraient. Il était encore à cent pas de chez lui lorsqu’il entendit ritournelle sortir de gosier sévèrement buriné à l’eau de vie : Mille voyages ai-je vécu Mille demoiselles accortes La complainte du Chevalier sans sols, Alfonsi sourit. Tout homme du Royaume de France était donc imbibé de même refrains. Il faillit reprendre en chour, se retint. Où dive férocité était-elle donc passée ? Il songea un instant à Turin, aux tortures, aux jeunes loups qui lorgnaient sur son négoce, et il sentit expression carnassière lui repeindre visage. Quand il entra chez lui, il était à nouveau l’homme qui n’a que faire de ses semblables. |
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À la bourre, fais pas dans le velours. | ||||
© Cousu Mouche, 2006-2007, tous droits réservés |
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