Chapitre XI
 
Épisode 057
 

Pietro Alfonsi s’arrêta sur le seuil. En sa cuisine les quatre hommes se tenaient bras aux épaules en tanguant d’arrière en avant. Braquemart et Gobert, au milieu, battaient des jambes car il ne touchaient terre tout en beuglant à s’en fracasser la luette, tandis que les deux colosses qui les maintenaient et vidaient bouteilles avaient le rire lent, les yeux comme éclairés par l’intérieur et l’air benêt de ceux dont l’ivresse enbrouille l’entendement. Alfonsi s’avança et frappa du poing sur la table pour faire taire les bêleurs.

- Caisses sont fort peu nombreuses, Messieurs de France !

Le ton était dur, mais nul en pièce n’était en état de le remarquer.

- Certes mais bouteilles le sont ! Et fort bonnes qui plus est. Vos amis italiens ne parlent pas langue nôtre, mais ils sont d’excellente compagnie, pas vrai Gobert ?

- Vrai. Il fait bon vivre en votre maison, Monsieur Alfonsi.

L’Italien respira longuement pour calme garder. Les imbéciles étaient tant enivrés qu’il ne servait à rien de disserter sur nombre d’arquebuses et juste sentence.

- Pippo, Claudio !

Les deux hommes relâchèrent l’étreinte et s’approchèrent de leur chef en s’efforçant de marcher le plus droit possible. Alfonsi n’eut aucune pitié de leur état.

- Nous avons du pain sur la planche. Hâtez-vous donc de convoyer ces Messieurs au champ des hommes morts !

Gobert se tourna vers Alphagor.

- Le champ des hommes morts, quel curieux nom ?

- Pas si curieux que ça, affreux soiffards, mais vous vous en rendrez compte pas vous-mêmes. Adieu, Messieurs, que vos âmes partent en paix.

Pietro Alfonsi se détourna, ajoutant avant de quitter la pièce.

- Pippo, la pelle et la pioche se trouvent au pied du grand chêne, à l’entrée du champ, tout près de l’endroit où nous avons enfoui le dernier.

Pippo opina sans piper.

Gobert avala encore quelques lampées parce qu’il avait cruchon en main et qu’il aurait été sot d’interrompre ainsi bonne soiffade, mais son cour n’était déjà plus au plaisir du boire. Lorsqu’il reposa cruchon et s’essuya le mufle d’une pogne râpeuse, les deux Italiens rieurs étaient munis d’arquebuses et de couteaux et n’avaient plus tête à rire.

- Dis, Alphagor, ils ne vont tout de même pas.

- Nous occire ? Si, ils y songent bien !

- Mais que ne saisis-tu ton épée pour les pourfendre ?

- L’envie me titille mais leurs arquebuses m’en dissuadent.

- Mais que peut-on faire ?

- Fais-moi confiance ; celui qui me trouera la peau n’est pas encore de ce monde et celui qui essayera n’en sera bientôt plus.

Ce disant, il avait voix forte, mais ses jambes n’en tremblaient pas moins.

 
 
Prends ta pelle et mouche-toi.