Chapitre XI
 
Épisode 058
 

Le champ des hommes morts se trouvait à dix bonnes minutes de marche du village ; derrière un rideau d’arbres. Gobert et Braquemart marchaient sans renâcler. Le canon de l’arquebuse qu’ils sentaient à leur dos les incitait à sagesse. Braquemart suait son ivresse, se sentait de plus en plus maître de ses pas et de ses idées.

Il voyait bien que devant lui, Pippo, l’arme au dos de Gobert, oscillait de droite et de gauche sur le chemin. Braquemart savait d’expérience que lui-même ne marchait point droit après avoir si copieusement tété bouteille. À ses yeux, Gobert ne titubait pas, partageant sans doute le même roulis que lui. Aussi, s’il percevait les hésitations de démarche de l’Italien, c’est que celui-ci était plus ivre qu’eux. De même le souffle en saccade de Claudio derrière lui laissait présager que la deuxième brute n’était pas mieux en sa tête que son compère.

Les Italiens avaient beau être armés et fort comme des taureaux, s’ils n’avaient pas moitié de leur tête avec eux il y avait chance de leur fausser compagnie.

- Il semble bien que nous arrivons...

Plus qu’un champ, c’était là une vaste clairière cerclée de noyers. Du canon de l’arquebuse, Pippo désigna pelle et pioche et leur fit signe de creuser.

Alphagor et Gobert se mirent à la tâche sans forcer sur le geste, égratignant la terre plus qu’ils ne la binaient. Les Italiens voulaient les faire accélérer, mais ils n’avaient ni force ni appétit de crier. Gobert aurait bien aimé trouver moyen de se concerter avec son ami, car il était bien sûr qu’Alphagor avait idée en crâne.

Ils étaient à présent en fosse jusqu’aux genoux. Les deux Italiens épaule contre épaule paraissaient s’assoupir. Car vin et gnôle apaisent autant qu’ils ont excité. Elles font les chants avant de faire les ronflements. C’était le moment que Braquemart attendait. Il planta ses yeux dans ceux de Gobert pour lui dire de se tenir prêt.

- Oh ! s’exclama-t-il comme s’il venait de découvrir magot.

Les deux Italiens s’avancèrent d’un pas pour se pencher au-dessus de la fosse. Alors Braquemart tourna sur lui-même, la pioche tendue à bout de bras. Il visait la tête mais il atteint l’épaule. L’outil s’enfonça de trois bons pouces dans la chair de Pippo qui poussa un juron en lâchant l’arquebuse.

Braquemart bondit hors de la fosse, la main sur son épée qui rechignait à sortir du fourreau. Claudio pointait déjà son arquebuse sur lui et allumait la mèche. Mais il fut surpris tant par le mugissement de Gobert que par le coup de pelle qu’il reçu en plein front. Le coup de feu parti trop bas, et Braquemart dû faire un pas de gigue pour éviter le projectile. Le forgeron frappa de nouveau avec bel enthousiasme. La pelle sonna comme un gong en rencontrant la hure de L’Italien. Mais Claudio accusa le coup sans vaciller et se tourna vers le forgeron, un sourire mauvais déformant ses traits. Gobert banda ses muscles et frappa du tranchant de l’outil droit au visage. Le nez de Claudio éclata. L’Italien, dessaoulé net, cracha trois chicots et lâcha son arme dans un rugissement de colère. Mains en avant, il saisit Gobert à la gorge et roula sur lui dans la fosse. Dos à terre, Gobert sentit sa poitrine craquer et forces le fuir. Ses yeux voulaient quitter son crâne comme raisins que l’on arrache à grappe. Il frappait de toutes ses forces avec la pelle mais point l’étreinte ne se desserrait. Un voile noir montait en lui et la pelle lui glissa du poing.

Mais les pognes le serraient moins fort, alors qu’air passait de nouveau en sa gorge. Il leva les yeux sur son adversaire dont le visage se découpait dans le soleil. Les yeux de Claudio étaient vides et sa bouche tremblait. Gobert se dit que cervelle d’hommes d’Italie comprenait peut-être coups de pelle avec quelque retard, que ces rustres là ne s’assommaient pas comme honnêtes gens de France. Puis quand enfin il put se débarrasser de l’étreinte et faire basculer l’Italien, il se rendit compte que ses coups n’y étaient pour rien.

Si Claudio avait cessé de serrer, c’est qu’une lame de couteau était fichée dans sa nuque.

 
 
La flamme brûle qui la mouche qui la touche.