Quand le chevalier Braquemart d’airain revint à lui, il ne sut quoi de bras, gaster, fessard ou faciès lui causait plus grand dol. Pour tout dire, son corps exhalait tant de douleur qu’il ne savait plus par où il devait geindre, et il n’avait guère envie d’ouvrir les yeux. Pourtant, lorsqu’il battit paupières, le bon visage de chair, de crevasse, d’excroissances diverses et de taches violacées, le large nez et le sourire mal denté de Gobert Luret lui furent meilleur des baumes.

- Ventrapinte, mon vieil ami. Tu ne vas point me dire que de tienne force tu as terrassé ces deux fiers à bras ?

- Certes, non. On m’a égorgé le mien alors qu’il me cherchait misères et le tien fut occis de sa propre arquebuse.

Braquemart cherchait vainement à se relever, pis encore, sa tête lui semblait prise dans un étau.

- Qui, qui donc est intervenu ?

- Nos marins. Les braves hommes soumis aux quatre tâches sur le navire de Courtevoile.

- Mais enfin, Gobert, comment sont-ils parvenus jusqu’ici?

- Je n’en sais Dieu mais. Il n’est point temps de demander, je le crains. L’un d’entre eux n’a point survécu. Celui des deux frères que nous crûmes noyé. Cette fois-ci, camarde ne l’a point manqué.

Et Gobert se signa en silence, puis il entrepris, malgré gémissements et protestations, d’asseoir son compagnon. Alphagor vit d’abord tanguer le champ des hommes morts pis que chaloupe; puis sol se stabilisa peu à peu. Il se tâta membres et torse. Il était vivant, malgré roidures et contusions, vivant une fois encore, apte à poursuivre sa mission; il en remercia le ciel et regretta n’avoir nul tonnelet à vider pour contenter la bonne fortune.

Ménotoire, agenouillé, pansait ses blessures. Le sang perlait dru de son visage. À l’écart se tenait Hugues-Godion, les mains à l’habit, la posture fière. Quand il jugea que les deux compères avaient retrouvé assez d’esprit, il s’avança.

- Nous vous devons fière chandelle, dit Gobert en tendant la main, sans vous...

- Sans vous, corrigea Braquemart, nous aurions dû user de plus de stratagèmes pour renverser situation. Votre approche de combat, est, comment dirais-je ? Primitive. Mais je reconnais que le travail est fait, et bien fait.

Hugues-Godion peina à masquer rictus de mépris qui lui montait aux lèvres, mais il se contint et ses propos et son ton furent ceux de gentilhomme en salon.

- Nous parlerons tactique de feu et de lame un autre jour, chevalier. Je crois qu’il n’est pas temps de demander notre reste si nous ne voulons voir surgir gredins de pis acabit que ceux que nous venons, ensemble, de mettre à mal.

Et la voix de Greult se fit entendre...

- Il faut enterrer mon frère. Je refuse de vous suivre si nous ne lui donnons pas digne sépulture.

Hugues-Godion allait pour répondre, mais Gobert parla avant lui.

- Puisque fosse est creusée... Si nous ajoutons les deux Italiens dans le trou, il ne faudra guère longtemps pour reboucher.

Ainsi firent-ils; et lorsque terre fut tassée, ils s’en allèrent en se maintenant les uns et les autres. Et seul Hugues-Godion de Villenaves avait démarche sereine, les autres peinant à suivre. Gobert qui ne souffrait point soutenait Greult, alors que Ménotoire et Braquemart s’offraient précaire équilibre en oscillant fort l’un contre l’autre à chaque nouveau pas que Dieu leur offrait. Ils quittèrent le champ des hommes morts.