Chapitre XII
 
Épisode 061
 

u village suivant, Hugues-Godion se chargea d’estourbir garçon de ferme pour leur procurer montures ; quatre belles bêtes aux jarrets solides dont on usait pour mener les troupeaux et non pour tirer charrue. Greult, se sentant trop vertige à l’âme, monta en croupe derrière Ménotoire.

Gobert, qui n’avait connu que sa mule, ne se sentait guère à l’aise sur un animal qui passait du pas au trot sans prévenir et qu’il suffisait de caresser des talons pour voir entonner galopade. Jamais sa brave bourrue n’aurait fait montre de telle soumission ; il fallait lui marteler les flancs à l’heure de reprendre la route et ne pas espérer plus que pas. En selle de cette bête trop vive et trop docile, sa vieille mule lui semblait d’autant plus précieuse. Aussi chantonnait-il sans bruit ode de sa source, qu’il avait inventé autrefois, il y avait lui semblait-il trop longtemps, après bonne soirée à la taverne du Sanglier Noir, une fois que son Isabelle l’avait estimé trop saoul, et l’avait laissé au froid, devant huis refusé.

Tu n’es guère travailleuse
Et me viderait godet
Si en pogne ne le gardait
Tu serais mon assoiffeuse

Ô ma bourrue valeureuse
Tu n’es guère la plus leste
Et pis encore au matin
Au temps de prendre chemin

Tu n’es bonne qu’à sieste
Mais Dieu que siestes bien
Tu ne fais guère pitié
La croupe comme barrique

Et même les coups de trique
Ne peuvent que chatouiller
Tes deux flancs bien rembourrés
Quand la soif cogne trop dru

Tu dédaignes l’abreuvoir
Au mur du Sanglier Noir
Te colles comme sangsue
Pour laper gnôle perdue

Et parfois bien je l’avoue
Je renverse fort cruchon
Juste pour t’offrir boisson
Puisque noble vin t’es doux
Ô ma bourrue, vertuchou !

***

Malgré nostalgie de l’un et gémissements de douleurs des autres, Hugues-Godion imposait bon train à la troupe. Ils allaient de village en village, en évitant jusqu’à taverne, malgré protestations sonores de Braquemart. Hugues-Godion leur refusa même l’aumône d’une nuit en paille ou en auberge.

- Demain nous dormirons et nous l’aurons mérité. Mais pour l’heure il nous faut avancer; mauvaises âmes sont peut-être encore sur nos traces.

Gobert se pencha vers Braquemart pour lui glisser à l’oreille.

- Ces drôles nous ont certes sauvé la vie, mais de quel droit décident-ils de la direction à prendre. Savent-ils seulement où nous voulons aller et ce qui est bon pour nous ?

- Je les ai certes à l’oil, mon bon Gobert. Je ne sais d’où leur vient telle sollicitude, mais rien ne me fait tant frissonner que bonté ; lorsqu’elle n’est point celle du curé, de l’idiot ou d’Alcyde Petitpont.

 
 
Bière qui mousse, sors les pousses.