Chapitre XII
 
Épisode 062
 

Un autre qui ruminait sec, c’était Greult Stebouf. Il ne s’ouvrait pas de sombres pensées à Ménotoire car personne, pas même Dieu sans doute, ne savait l’opinion du grand Baptiste sur les hommes et les choses. Par contre, son opinion à lui sur Hugues-Godion était toute faite ; il l’avait vu rester en lisière alors même qu’il poussait le pauvre Hérard à découvert. Tout chef digne partage le sort de ses hommes et ne vient pas se pavaner à la fin des combats pour achever les combattants à bout de force.

Ainsi songeait Greult à qui mission, argent et honneurs paraissaient désormais bien vains. Qu’on lui laisse bonne occasion, et il se débarrasserait de Hugues-Godion en mémoire de son frère. Il était assez habile pour trouver, en province d’Italie comme ailleurs, bonne équipée de brigands qui aurait besoin de ses talents. Peut-être même eût-il défié le chef ce jour-là, s’il avait répondu des réactions de Ménotoire. Car le solide homme était bien capable de lui dévisser le cou d’une seule main.

Patience, patience, se disait Greult le cour lourd, l’occasion lui viendrait bien. Et désir de vengeance le tenaillerait longtemps.

La nuit leur avait paru longue et la journée qui suivit interminable. Ils ne rêvaient que de se coucher auprès d’un arbre et de ronfler à guise jusqu’au bout des temps. Ils s’étaient enfoncés dans l’arrière-pays, dans les forêts de conifères. La terre qui semblait sèche à mourir sur un versant, se transformait en pâte boueuse une fois les cols passés. Les chevaux avaient alors le pas mal assuré.

Au faîte d’une colline, là où le ciel se dégageait et leur permettait de voir tout autour d’eux, Hugues-Godion fit arrêter la marche et scruta leurs arrières durant de longues minutes, immobile, comme si un sort de rebouteux l’avait statufié sur place. Puis il fit signe que l’on pouvait reprendre chemin, un fat sourire aux lèvres. Nul ne les suivait ; ils pouvaient en être sûrs maintenant. Alfonsi était trop sage homme pour se perdre en vaine poursuite.

Mais soulagement n’est pas antidote à la fatigue. Ils avançaient désormais au pas ; les chevaux étaient fourbus. Même le soleil donnait signes de faiblesse derrière eux ; et leur ombre agrandie, monstrueuse, ne les distrayait guère.

- N’est-ce point clocher que je vois au loin ? demanda Gobert qui fredonnait de plus en plus mollement.

- Si, dit Hugues-Godion. Et ce soir nous allons faire étape, si vous le voulez bien.

Il n’avait point refermé la bouche que Gobert et Braquemart martelaient les flancs de leur monture en hurlant tels barbares en razzia.

- Que leur arrive-t-il, demanda Ménotoire ? Tentent-ils de nous fausser compagnie ?

- Que nenni ! Mais pour ces pauvres en Dieu, la vue de clocher ne sert qu’à indiquer emplacement de taverne. Nous les retrouverons d’ici peu, la lèvre moussue et la tête renversée, mais nous les retrouverons. Pour l’instant, laisse-les filer. Ainsi garderont-ils l’impression d’être libres.

 
 
En Grèce, ne fais pas l’autruche.