Chapitre XII
 
Épisode 065
 

Quand, Ménotoire, de Villenaves et Stebouf entrèrent à leur tour, Braquemart et Gobert avaient fini de lécher leur assiette et entamaient troisième cruchon de vin que deux paysans joviaux s’en étaient venus partager à leur table. Par force gestes, les hommes du cru s’efforçaient d’apprendre aux étrangers jeu de dés local. Si Braquemart, les yeux brillants, tentait d’imaginer ficelles, ruses et tricheries qui lui permettraient de gonfler sa bourse, ou pour le moins de se rincer glotte à l’oil, Gobert ne cherchait point à comprendre et observait les gesticulations et les exclamations des deux Italiens avec l’oil bovin et ponctuait les échanges de fortes éructations.

- Ah ! Voilà l’équipée de tristes sires, gueula Braquemart.

- Messieurs, si vous voilà restaurés, le temps presse et l’ennemi est sur nos traces. Il faudrait ne point tarder à nous remettre en selle !

Gobert fut debout incontinent, braillant à fendre poutre :

- En selle, en selle ma mie, chevauche.

La grosse patte de Braquemart couvrit le mufle du forgeron et coupa à sa source chant paillard.

- Monsieur, nous sommes à boire et à jouer entre hommes de bonne compagnie. Il est hors de question que nous retournions nous flétrir plus avant le cuir des fesses. Nous n’avons quitté selle de la journée. Votre petite promenade nous a laissés vides de rires et d’amitié. Alors, laissez-nous nous emplir à notre guise et gardez à distances vos grises mines et vos conseils de prudence.

Et sur ce, il agita et lança les dés, obtint score dérisoire et déclencha rires italiens et prompt remplissage de godet.

De Villenaves jugea plus prudent de ne point relever le gant. Qu’ils se remplissent, ces outres ! Ils touchaient bientôt aux termes de leur mission.

Comme il ne restait plus de places assises, Hugues-Godion, Greult et Baptiste se dirigèrent droit vers le comptoir d’où le tenancier leur faisait signe, l’oil sévère. Il posa une bouteille trouble devant eux et remplit les verres. Hugues-Godion renifla d’une narine prudente et demanda :

- Holà, le drôle, n’aurais-tu pas plutôt bonne bouteille de vin chrétien ? Nous avons longue route à faire demain et nous ne voudrions pas que ton vide-viscères nous contraigne à nous arrêter en buissons tous les vingt pas.

Le tenancier ne comprit point les mots mais leur musique le souffletait comme il ne le tolérait pas. On ne regimbait point devant sa gnôle, d’où qu’on vienne, qui qu’on soit et où qu’on aille. Il désigna le verre d’un index péremptoire, et fut surpris de voir qu’il était vide. Greult Stebouf, le cour trop lourd, s’était enfilé sa part et celle de ses compagnons ; on entendit comme un craquement derrière ses yeux et il se laissa glisser au sol dans un râle, un filet de mousse aux lèvres.

- Homme qui sait boire, sait ne point choir ! hurla Gobert depuis son siège, ce qui eut pour effet de déclencher fort rires dans la salle. Si on ne comprenait pas le propos, on en saisissait aisément le sens.

Hugues-Godion crut un instant que le sacrifice de Stebouf lui éviterait de se confronter au tord-boyaux, mais il en fut pour ses frais. Déjà l’alberguier versait le liquide fumant dans les verres en ponctuant son geste de phonèmes que l’on devinait peu amènes. Tout autour, silence s’était fait, sauf à la table des joueurs de dés où l’on riait, buvait et rotait trop fort pour se préoccuper des aléas et tension de la vie de taverne.

 
 
La chasse l’attire ? Tire la chasse !