Chapitre XIII
 
Épisode 068
 

répuscule étirait les derniers feux du jour, mais déjà sentier se dérobait aux yeux. À cette heure, voyageur sans torche ni lanterne cherche abri en fourré et prie pour que nul brigand ne le surprenne en ronflements. Alphagor Bourbier affirmait depuis fort longtemps que gnôle était nécessaire à traverser la nuit sans embûches. Non seulement elle donnait cour au ventre et bon enthousiasme à fouetter cheval au cul assez prestement pour l’empêcher de renâcler, mais elle permettait à l’homme de trouver son chemin. Le chevalier s’était souvent perdu en route, mais jamais, au grand jamais, lorsque dive bouteille faisait son office en son âme. Certains en taverne du Sanglier Noir, parlaient de légende quand Braquemart réclamait forte gnôle pour pouvoir retrouver chemin de son huis ; et il est vrai que le chevalier n’était pas à un stratagème prêt pour obtenir dernière bouteille avant la fermeture.

Confiance de compagnon était également acquise. Gobert éructait les yeux mi-clos en chantonnant d’improbables complaintes dont il avait oublié paroles et qu’il emplissait de syllabes imprécises en bavant un peu. Il est à dire que bouteille qu’il avait discrètement subtilisé sur le comptoir de taverne à l’instant de quitter les lieux n’aidait guère à sa bonne élocution.

De fait, sans même trop se préoccuper du chemin, ils arrivèrent en large champ, à mi-pente, et devinèrent lueur entre les planches disjointes d’une cabane. Odeur d’olives, de pain et de tomate emplissait l’air. Les chevaux prirent bonne éperonnade au flanc pour les inciter à ne point ralentir et à joindre au plus vite cette belle aubaine qui se détachait de la nuit.

Ils n’étaient pas descendu de cheval qu’homme au long cheveux noués sur la nuque, aux rides larges et profondes et aux lèvres charnues, se présenta à eux tenant haut flambeau. Il parlait langue de France, avec lenteur et distinction. Et quand Braquemart lui demanda s’il y’avait place pour deux hommes de bon appétit à sa table, il sourit grandement.

- Messieurs, vous ne pouviez mieux tomber. Je me nomme Euzébio Tronconne, et je suis bien aise de vous ouvrir ma porte. Gabriella, ma fille et moi avons pris l’habitude au soir tombant de préparer opulent repas en espérant fort que gens de passage nous rejoignent afin de pouvoir converser avec eux d’art et d’usage, de beauté, de grâce et de temps nouveaux. Tout en faisant ripaille bien sûr, car intelligence point ointe par bon vin n’est que demi-intelligence !

- Comment se fait-il, demanda Braquemart que tant de monde ici parlent langue nôtre ?

- Provinces italiennes s’ouvrent à l’esprit et à la science. Nous portons le monde et les étoiles dans notre cour. Je sais quant à moi les vanités de l’argent et que rien n’est aussi bon que d’apprendre les mots des autres autour de bonne table.

- Mon nom est Gobert Luret. Je suis forgeron au village de Minnetoy-Corbières où le meunier parle un peu dans le même sens que vous. Quant à nous, discussions nous enchantent mais ripailles nous élèvent encore bien au-delà, pas vrai Braquemart ? Braquemart ? Mais où est il donc passé ?

- Je crois qu’il se dirigeait en arrière de cabane pour satisfaire envie des plus naturelles. Il y aura sans doute croisé ma fille à laquelle il aura bon goût de présenter ses hommages.

Et Gobert, en se servant bon gobelet d’un vin rouge épais, se dit de par lui-même que la façon de Braquemart de présenter hommage aux femmes ne devait point correspondre à l’idée que s’en faisait le bon Euzébio.

 
 
Souffle fort et vole jupon.