Chapitre XIII
 
Épisode 069
 

Braquemart vidait sa vessie fort malmenée par les cahots de la route contre le tronc d’un châtaignier centenaire. Il poussa soupir d’aise. Providence semblait une fois de plus les avoir pris sous sa garde ; encore ce soir ils ne mouraient de soif ni de faim. Et si la jeune garce qu’il apercevait près du puits était d’aussi bonne disposition que sa croupe l’annonçait à qui savait y voir, nuit confortable était à portée de pogne.

Braquemart se rajusta et s’assit sur souche pour détailler plus à l’aise mouvements de la belle. Parfois, il lui prenait plaisir de respirer l’air et l’odeur de la nourriture avant de se mettre à table, de laisser ses lèvres fraîchir au froid de la nuit avant de les chauffer au goulot.

C’était ce brave Alcyde qui lui avait apprit à s’asseoir ainsi à côté de son âme, à faire fondre des pensées douces et imprécises en crâne sien pour se reposer de trop de cris, de paroles et de promesses. L’homme ne peut être heureux lorsque sans répit il s’agite en vain disait encore le meunier. Braquemart n’était certes pas apôtre de sagesse, mais parfois, il aimait savourer avant de savourer.

Il observait les mouvements de flambeau, la marche de Gabriella qui s’en était allée puiser large seau d’eau. Dans l’obscurité, il lui devinait fortes hanches et s’en trouvait en bel appétit. Rêvassant aux mots courtois qu’il pourrait lui déclamer pour la convaincre de s’allonger en paille, il ne la vit point s’approcher et se planter droit devant lui.

- Je vous vois l’oil fort aiguisé, bel étranger. Désirez-vous me suivre en grange ?

Alphagor releva les yeux, incrédule. Il devinait les yeux de Gabriella brillant d’une lueur étrange. La voix était douce, mélodieuse. Il se leva d’un coup.

- Certes, gente dame. Y aurait-il quelque tâche à accomplir ? Une vache à traire ? Un veau à naître ? Je suis votre homme, ma damoiselle.

Il se découvrit et s’inclina pour un baise-main.

- Ne vous faites pas plus idiot que vous n’êtes ! Trop rares sont les hommes qui passent par ici, trop nombreux sont les soirs où je mange triste, en compagnie de mon père, sans m’être dignement fouetté les sangs. Je vois à votre regard que vous avez chevauché longue journée, il est à présent mon tour de m’offrir petit trot. Allez, venez ! Nous n’avons déjà que trop parlé.

Alphagor en eu incontinent gorge sèche. En campagne, comme aux alentours de Minnetoy-Corbières - il évitait de trop folâtrer en couche dans le bourg pour ne point s’attirer vaines inimitiés qui vous ferment portes de taverne et vous causent plus de tourments que d’agrément - il avait traqué femmes de peu de vertu, tenancières accortes et saines soubrettes. Il savait, au bout de la nuit, vaincre résistance de la gueuse, la convaincre de s’allonger et d’oublier en couche dernier prêche du curé. Il avait l’habitude de mener ce long combat qui est celui des hommes que la vie n’a pas mariés et qui doivent gagner plaisir comme on se prépare à rapine, avec patience, persévérance. Combien de fois lui avait-on giflé le mufle ou claqué porte au nez ? Combien de fois avait-il dû raconter ses exploits de chevalier pour qu’enfin, la peu timide le soit encore moins ?

Enfin quel était donc ce succube qui inversait les rôles, qui en voulait à son corps, qui le regardait maintenant de près comme qui convoitent bon quartier de viande ou soupe grasse, et qui lui saisissait la main et l’entraînait à sa suite ?

Décontenancé, Alphagor aurait bien donné son cheval contre bonne golée de remontant.

 
 
Tête à cul, enfant menu.