Chapitre XIII
 
Épisode 071
 

Quand Braquemart entra en cabane, il remarqua avec quelques regrets que deux belles bouteilles avaient été vidées sans lui, que la voix de Gobert s’éraillait dru et que sa diction lui interdisait les mots de plus de trois syllabes. Il en conçut quelque jalousie.

- Tu aurais pu me laisser lampée tout de même.

Gobert ignora l’apostrophe et d’une pogne lourde s’accapara nouvelle bouteille, arracha le bouchon à la molaire et s’en vida la moitié dans la glotte sans déglutir. Euzébio, adossé au mur, les bras croisés, et le verre à demi vide, semblait fort s’amuser.

- À ouïr ma fille, et je vous avoue au passage qu’il est rare que je l’entende d’ici, ce qui n’est point à votre déshonneur, je crois pouvoir affirmer qu’elle n’aura pas à faire usage de votre ami, du moins cette nuit. Aussi est-il quelque peu malvenu de lui reprocher ainsi juste usage de boisson.

- Monsieur, j’ai bien peur de ne pas vous entendre. J’ai en effet rencontré une dame, dont j’ignorais que ce fut votre fille, et nous eûmes un échange courtois sur le pas de la grange et il semble bien qu’elle.

- Bougremissel ! Zébio la connaît sa fille. Viens boire un coup, vieux bouc, et boucle-ça !

Braquemart grommela quelques vers orduriers où il était question de l’injuste destin du chevalier toujours forcé de bomber le torse et de faire don de son corps alors que forgerons et cocus n’ont qu’à s’asseoir cul sur la chaise et à se renverser bouteille en gueule sans se soucier pour un sou de leur légende.

Mais peu à peu, cruchons de vins, viandes grasses servies à la louche et oillades énamourées de Gabriella qui, sitôt qu’elle les rejoignit à table, ne le quitta pas des yeux et toucha à peine à son assiette, le ragaillardirent.

- Ainsi, c’est vous qui distillez ce divin alcool que nous bûmes au village voisin.

- En fait, je m’en sers pour endormir les boufs quand je dois les soigner. Pour décrasser mes outils aussi. Mais le tenancier de la taverne aime bien le servir aux étrangers. On se distrait comme on peut par ici.

Le vieil Euzébio les interrogea ensuite sur leur voyage et Braquemart n’en dit que le nécessaire malgré son enthousiasme qui s’enflammait à chaque gorgeon. Il raconta comment ils avaient semé trois drôles d’oiseaux qui semblaient leur vouloir bien mais qu’il n’aimait pas sentir dans son dos.

Après que le dernier plat fut vidé et que les liqueurs fussent sur table, Euzébio déplia carte devant leurs yeux et, comme ils n’y comprenaient goutte, leur expliqua plusieurs fois où voir montagnes et où sentiers dans ce fatras de traits imprécis. Du doigt, il leur montra trajet des jours à venir, route des collines du nord où les brigands ne passaient guère et qui ne rallongeait pas périple de plus d’une demi-journée.

- Quatre nuits encore et vous verrez Vérone.

- Il est temps, disait Gobert, il est bien temps. Ce périple dure et dure et je n’aime pas m’éloigner ainsi de mon Isabelle. Au retour, nous serons dans le bon sens, et j’irai de tout mon cour en direction des bras siens.

 
 
Fourbis ta honte comme ton couteau.