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Chapitre XIII |
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Épisode 073 |
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Passés à la semelle par les habitants du village, Baptiste Ménotoire, Hugues-Godion de Villenaves et Greult Stebouf furent traînés par les pieds jusque sur la grand-place devant l’auberge. On les mit au pilori avec force rires et quolibets, sous un beau clair de lune qu’ils ne surent apprécier. Un tonneau fut mis en perce et les libations continuèrent de plus belle. Pour l’occasion, les enfants furent tirés hors de couche. Trop heureux, ils se munissaient de fruits blets ou de cailloux et visaient les visages tuméfiés des trois hommes. Seul Ménotoire, assurément le plus résistant, émettait encore quelques sons rares, de vagues protestations sous la pluie déferlante de projectiles. Quand tous furent las de chanter, de boire et de frapper, les lanternes furent éteintes et le village glissa dans la paix. Greult Stebouf n’attendait que ce moment. Pilori, serrures ou corde, il savait comment soustraire son corps aux piètres entraves de ses contemporains. Il se laissa tomber, assis sur la terre, les tempes bourdonnantes. Il lui semblait que ses os étaient bouillie et que ses jambes ne sauraient plus le porter. Quand enfin, il trouva force de se relever, grimaçant de douleur, son premier mouvement fut celui de la fuite. Ses compagnons d’infortune ne méritaient ni égard ni effort. Puis il se ravisa. S’il n’avait que faire de mission à accomplir, l’argent qu’on lui avait promis ne le laissait pas indifférent. Et il s’était promis de faire rendre gorge à Hugues-Godion de Villenaves pour venger son frère. Il aurait pu le laisser pourrir sur son pilori au milieu des quolibets, l’idée d’ailleurs lui arracha un sourire, mais rien ne vaudrait l’instant où il passerait son filin autour du col de ce fat prétentieux, de ce mauvais capitaine qui laisse tuer ses troupes sans prendre lui-même le moindre risque. Il l’imaginait, couinant, étranglé comme un vulgaire lièvre. Oui, Greult voulait lire la mort venir dans les yeux de de Villenaves. Rien que pour cela, il lui rendrait cette nuit la liberté. Hugues-Godion et Baptiste furent donc tirés de pilori. Ménotoire avançait comme fantôme sans prononcer un mot. Hugues-Godion boitait bas et crachait le sang entre ses dents manquantes. - Vertudieu ! Je n’imaginais pas qu’on puisse survivre à pareille raclée ! Ils cherchèrent en vain leurs montures. Les Italiens les avaient confisquées. Ils n’avaient pas la force de visiter chaque écurie pour récupérer leur bien. Pour l’heure, il leur fallait s’éloigner, trouver bonne cache en forêt où panser leur blessure et attendre que vie leur revienne pleinement en veine. Ensuite, il serait temps de penser rapine et de rattraper le temps perdu. - Les deux idiots, nous ont semés bougonnait Hugues-Godion. - Les deux idiots doivent l’être moins que nous. Ils ont gardé montures et ne se sont point fait tanner le cuir, dit Stebouf. À petits pas difficiles ils s’enfoncèrent en profonds taillis, loin des sentiers battus, là où ne les chercherait pas. |
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- Au tapis les fakir, au tapis! -Des clous ! |
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