Chapitre XV
 
Épisode 081
 

Gobert et Gabriella coururent vers la place du village. Chemin faisant, le forgeron expliqua à la jeune femme comment il avait rencontré ces hommes, sur le bateau qui les avait menés en Italie. Sur la place, ils ne virent plus trace des trois étrangers et nul ne semblait pouvoir les renseigner. Ils cherchèrent dans les rues avoisinantes, sans plus de succès.

- Peut-être ont-ils retrouvé trace du Chevalier et se sont-ils lancés à sa suite.

- Allons régler notre écot et partons pour Vérone. Je suis de plus en plus convaincu que Braquemart s’est lancé en mission seul.

Ils retournèrent d’un bon pas vers l’auberge. Arrivés en écuries, ils ne virent point leurs chevaux. Le vieux gardien n’était pas là pour leur donner d’explications. Gabriella allait de long en large incrédule en proférant des mots qui n’étaient point ceux de pieuse et digne jeune femme. Gobert en profita pour s’adosser à la paroi de bois, à l’entrée de l’écurie. C’est là, s’épongeant le front des froides sueurs d’une nuit trop courte, qu’il aperçut un bras dépassant d’un tas de foin ; un bras qui remuait faiblement. Gobert s’avança, dispersa le foin à la botte. Le vieux gardien s’agita et Gobert le saisit aux épaules, mais il était trop faible encore pour se relever.

- Gabriella, apportez de l’eau.

Le sang coulait encore au front de l’homme, ce qui tendait à prouver que les agresseurs les avaient précédés de peu. Gabriella lui passait de l’eau fraîche sur la nuque et le visage, mais l’homme ne se décidait pas à parler.

- Monsieur, monsieur, faites un effort, le temps presse !

Gobert se pencha vers les yeux vides du gardien, se releva, et sortit piécettes de sa bourse.

- Je crains Gabriella qu’il faille user de remède un peu plus radical.

Il sortit prestement de l’écurie et en revint muni d’un beau flacon de liquide ambré.

- La tenancière m’a dit qu’il s’agissait de plus forte gnôle des campagnes environnantes.

Il déboucha, le flacon renifla à plusieurs reprises, puis se le renversa dans la gueule durant dizaine de secondes. Quand il s’essuya les lèvres d’un bon revers de manche, liquide avait baissé de moitié.

- J’ai foutre bu pire, mais je crois que ça fera l’affaire.

Et il renversa reste de flacon en bouche du gardien en lui maintenant le menton pour le forcer à ne point recracher. Quand il inspira l’air avec fort bruit de succion, le gardien avait retrouvé vie en oil et en joues.

Gabriella l’interrogea et à la voir baisser la tête et soupirer, Gobert se dit que leurs affaires n’étaient pas bien engagées.

- Que dit-il ? Bougremissel, ne me laissez point en telle ignorance !

- Les hommes qui l’ont agressé en ont après Braquemart. Un petit maigre lui a serré la gorge avec filin de fer pour le faire parler.

- C’est bien eux. Et leur a-t-il dit quelque chose?

- Oui, dit Gabriella en décochant au vieil homme un coup d’oil de rancune. Il a conté sous la menace ce qu’il ne m’a point confié. Il parle de son devoir de silence. Son devoir. Il n’a pas eu le courage de se faire dignement étrangler. Alors son devoir. Laissez-moi rire !

- Mais qu’a-t-il dit ?

- Que le Chevalier de Montcon a pris son cheval hier, l’a réglé et est parti sans se retourner.

- Et nos chevaux ?

- Envolés. Qu’est-ce que vous croyez. Nous voilà à pied, Gobert. À moins que vous ayez de quoi nous acheter monture...

Gobert considéra piteusement sa bourse.

- C’est Braquemart qui a le gros de la bourse. Je crains qu’il en soit hors de question.

- Alors notre périple vers Vérone sera long.

Et sans plus se préoccuper du vieillard, elle se dirigea vers la sortie de la ville, d’un pas altier.

 
 
Quand le bœuf chie, la mouche rit.