ugues-Godion galopait en tête. Il grimaçait à chaque fois que son fessier retombait sur la selle. Son corps renâclait à tout effort, mais il avait bon espoir d’en terminer bientôt avec cette fichue mission. Égorger Braquemart, égorger l’héritier et toucher son dû, voilà tout ce qu’il lui importait. Alors s’effaceraient de son âme l’infinie fessée qu’il avait dû subir en cette taverne infâme. Rien de tel qu’un peu de sang et un peu d’or pour se laver d’un seul élan honneur et mémoire.

À Vérone, il leur avait fallut un peu de chance pour retrouver trace du chevalier. Les grandes villes ne manquent ni d’originaux ni de bouseux et le grand imbécile semblait s’être fondu dans la foule.

Ce fut Ménotoire qui, à force de serrer le poing, fit revenir mémoire à une mendiante. Un homme de haute taille, à la barbe drue qui se renversait gourde en gorge plus souvent qu’à son tour avait quitté la ville à cheval par le sentier du nord-est. Ce fut du moins ce qu’il crut comprendre des gestes effrayés de la vagabonde. En chemin, quelques paysans ne furent pas plus diserts, mais opinèrent avec conviction lorsqu’on leur décrivit Braquemart.

La nuit était bien avancée lorsqu’ils atteignirent Castelfiore, mais les chants qui s’envolaient de taverne ne trompaient pas.

- Je crois que nous avons retrouvé trace de notre homme.

Greult Stebouf s’avança à pas léger jusqu’à la fenêtre. Il risqua un oil. À l’intérieur, porté sur les épaules de deux bon laboureurs qui ne voyaient plus guère droit mais tenaient debout par habitude, Braquemart entonnait quelques épîtres approximatifs où le divin voisinait avec Bacchus et où les noces de Cana se muaient en saturnales. L’assistance n’y comprenait goutte. Mais l’étranger fortuné qui payait son coup sans rechigné et buvait aussi sûr que les beaux drus du coin, pourtant entraînés dès prime enfance à téter gnôle au biberon, avait pour gens de taverne quelque chose de bien réconfortant. Qu’importe de comprendre la langue quand on partage même ivresse.

Braquemart chut des larges épaules et se retrouva vautré sur une table entre les cruchons. Il poussa un long bramement.

- Dieu que me manque mon bon Ventrapinte à l’heure de libation ! Le vin m’est moins bon lorsque mes refrains ne trouvent son écho.

Il écrasa une larme au coin de son oil, ce que voyant, un paysan lui apporta cruchon bien remplit. Braquemart lui sauta au cou, renversant la moitié de la piquette. Il lui arracha boisson des mains, leva haut le cruchon d’une main tout en enserrant le cou de son compère de l’autre.

- À la santé de l’Héritier, Foutredieu ! Et à son mortecouilles de père !

Stebouf en avait assez vu. Il rejoignit ses compagnons.

- C’est bien lui. Il tangue sans bateau sous ses pieds, il se déforme la figure à force de crier insanités paillardes, mais c’est bien lui.

Hugues-Godion se frotta les mains.

- Cette fois, nous approchons de terme de mission. Un peu de patience et nous en aurons fini avec ce vaniteux.