Chapitre XVI
 
Épisode 086
 

Ils marchèrent une partie de la nuit, ne prenant repos que lorsque la lune commença sa descente vers l’horizon. Dans un bosquet près du chemin, ils s’endormirent dans la minute, sans même s’être restaurés tant était grand leur épuisement.

Le soleil n’avait pas encore laissé poindre son nez qu’ils furent réveillés par un bruit de sabot sur le chemin. C’était un brave fermier, à belle moustache qui frisait et lui grisonnait sous le nez, qui leur fit signe de monter avant même que parole ne soit dite. Sa charrette lourde de boilles de lait était tirée par un bon cheval, peu preste, mais à la marche solide. Quand furent faites présentations, il leur dit qu’il allait livrer son lait à Vérone et leur proposa de les y emmener. Il pressa même l’animal en le titillant un peu au fouet, ce qui leur permis d’arriver alors que l’aurore traînait encore ses brumes sur la ville.

Gabriella ne disait presque rien, et traduisait propos de fermier avec une réserve qui faisait mal à Gobert. Elle lui en voulait encore pour leur conversation de la veille. Mais que pouvait-il faire ? Amour était chose pour laquelle le forgeron n’était pas de bon conseil, et amours de Braquemart étaient choses sur lesquelles il n’aimait point s’étendre. L’Italienne était jeune et aurait tôt fait d’oublier le chevalier en d’autres bras.

Alors qu’ils franchissaient les portes de la ville, Gabriella demanda sans trop d’espoir si l’homme n’avait pas vu chevalier de France, haute stature, fort poitrail et joues rêches. Dans une ville comme Vérone, quelle réponse pouvait-elle espérer ?

L’homme de ferme semblait n’avoir point entendu, occupé qu’il était à calmer son cheval effrayé par le bruissement de la foule. Puis il parla entre ses dents et laissa échapper un petit rire.

- Que dit-il ?

- Qu’il n’a vu personne mais que sa femme, qui travaille en mercerie aux portes de la ville, lui avait dit au repas qu’on avait vu gens de France en route pour Castelfiore. Il rit car personne ne va jamais à Castelfiore.

- L’un de ces hommes de France pourrait-il être Braquemart ?

- En ce cas je m’inquiète fort de savoir qui sont les autres.

Les faciès peu engageants des marins factices revinrent en mémoire de Gobert qui ne put s’empêcher de frissonner. Il se demandait bien ce que ces trois-là avaient à courir à leurs chausses. L’idée que cela n’était pas étranger à leur mission commença à lui fouire les méninges.

- Qu’en pensez-vous Gabriella ? Faut-il que je fouille en ma bourse de quoi négocier le transport jusqu’à Castelfiore ?

- Je crois, Messire Gobert que ce serait-là noble idée.

Elle traduisit proposition au fermier, ce qui suscita moult explications et grands renforts de gestes, à tel point que Gobert crut fort avoir vexé l’homme en lui proposant pourtant fort simple tâche. Gabriella se tourna enfin vers lui. Elle souriait.

- Il nous mènera sans nous demander moindre obole. À condition que vous l’aidiez à décharger son lait.

- Moi, porter du lait ? Bougremissel ! Enfin, s’il s’agit de rejoindre Braquemart, je porterais même de l’eau !

 
 
Tombe la verge, tu ne viendras pas ce soir.