Chapitre XVII
 
Épisode 090
 

Vite, Hugues-Godion secoua le bras. Une dague glissa de sa manche et parut à sa main. Il esquissa comme mouvement de menuet et, saisissant Gabriella à la taille, passa en son dos et posa lame contre sa gorge en la maintenant fermement.

- Renforts vous furent prompts, chevalier, mais j’ai encore quelques tours en mon sac

Gabriella sentit le souffle du malfrat dans son cou et son odeur de fiel.

- Surtout si vous me mâchez besogne de par vos imbécillités !

Braquemart sentit le rouge lui venir aux joues. Il avait repris son épée et Gobert sa bûche, mais aucun d’eux n’osait le moindre mouvement vers l’avant.

- Posez là vos armes ! Je n’hésiterai pas à la saigner comme pourcelle ! Et toi, le gros, descend de mon compagnon.

Gobert obéit tout en s’essuyant semelles sur la hure tuméfiée de Greult.

Jamais Braquemart ne s’était senti front suer ainsi, autant par la honte que par l’impuissance. Il crispa sa main sur son épée et dit d’une voix blanche :

- Lâche-là, coquin ! Lâche-là et tu pourras fuir vif et sur tes jambes.

- Oh, ce n’est pas seule vie sauve que j’aurai, mais héritier en prime. Posez vos armes devant vous et peut-être que j’épargnerai vos misérables vies.

Braquemart serra les dents et ses joues blanchirent. Ainsi, ces malfrats en avaient après l’héritier. Ils les avaient donc suivis depuis Minnetoy-Corbières jusqu’ici pour s’en prendre à la chair de la chair du duché, fils de son suzerain et de sa suzeraine. Qui donc avait bien pu ourdir tout cela ? Une idée se faisait jour dans l’entendement du chevalier.

Gobert avait dû faire le même raisonnement car il tourna un oil vers son compère.

Derrière eux, Greult Stebouf reprenait goût à conscience, assez pour s’extirper de dessous le lourd bougeoir et se mettre debout. Il se palpa rapidement les côtes. Tout semblait en place. La vue lui tanguait dru mais il était sur pied. Dans un brouillard, il se traîna les pieds jusqu’au côté de de Villenaves.

- Que veux-tu faire de l’héritier, mécréant ?

- Ceci ne te concerne pas. Maintenant jetez vos armes !

- Tu ne l’emporteras pas au paradis, dit Braquemart.

- Il y a longtemps que j’y ai renoncé, ricana Hugues-Godion en appuyant un peu plus fort sur la chair de Gabriella, jusqu’à faire perler goutte de sang.

Puis il se tourna vers son compagnon.

- Eh toi ! Ne reste pas planté là ! Va les désarmer, tu ne vois pas que j’ai les mains prises.

De Villenaves avait hurlé et Gabriella poussa un cri léger car le couteau s’enfonçait de plus en plus dans sa gorge

Greult Stebouf vit comme en rêve le chevalier poser son épée et le forgeron se débarrasser de sa bûche. Il tourna la tête et croisa le regard effrayé de la jeune femme.

- Stebouf ! Joue de ton fil ! Qu’on en finisse avec ce chevalier à forte vie. Stebouf ! Je te parle ! Ton frère, quand je lui donnais un ordre, il s’exécutait incontinent !

Greult avança d’un pas, leva les yeux sur le cruel faciès de Hugues-Godion de Villenaves. Il tendit fil entre ses mains. Dansaient devant lui visage éploré de Gabriella, visage triomphant de Hugues-Godion, visage figé du chevalier et visage perplexe du forgeron. La vieille dame pleurait toujours affalée dans un coin de la salle. Ne lui restait plus qu’un geste à faire.

Il le fit.

 
 
L’auto-stoppeuse s’arrête toute seule.