Chapitre XVIII
 
Épisode 092
 

ls avaient poussé Baptiste Ménotoire dans un coin après avoir pansé sa jambe et son front. Il restait là, assis par terre, sans bouger, à baver sur son pourpoint, considérant ceux qui l’entouraient du même regard qu’ont les boufs lorsque ruminement les accapare.

Gobert avait remis table debout tant bien que mal et appuyé contre le mur la lourde roue de charrette qui faisait office de bougeoir. Un plaid recouvrait la dépouille de Hugues - Godion.

Dehors, on entendait les enfants piailler. Ils allaient bientôt entrer pour déjeuner. Braquemart prit la parole d’une voix pâteuse :

- Pourquoi en aviez-vous après l’héritier, Stebouf ?

Greult allait ouvrir la bouche mais Gobert tapa sur table d’un poing qui failli la remettre à bas.

- Halte-là, amis ! Discussion sérieuse hors compagnie de bouteille est grave outrage à us de chevalerie ! Que l’on nous quière à boire !

Braquemart se recula sur sa chaise et approuva du menton. Gabriella traduisit cette juste doléance à Thédania qui, se remettant peu à peu de ses émotions, se leva et sortit de pièce. Elle revint de la cave avec cruchon et beau jambon bien frais.

Godets remplis et jambon coupé, Greult Stebouf put raconter comment il fut, en compagnie de son frère et de Ménotoire, désigné par Fargerand, cousin germain du Duc, pour suivre Hugues-Godion en sinistre entreprise. Mission était simple : tuer l’héritier et se débarrasser du chevalier et de son escorte. Gabriella frissonnait au bras de Braquemart, ce qui empêchait chevalier de boire à sa guise et renforçait méchant mal de tête. Il se dégagea le coude d’une bourrade et put enfin faire un sort à sa piquette.

- Je devrais vous planter six pouces de fer dans le ventre, Stebouf !

Le truand ne releva pas la tête et articula d’un ton morne.

- Ne croyez-vous pas qu’assez de sang a déjà coulé, chevalier?

Gabriella renchérit :

-Monsieur Stebouf a prouvé par ses actes qu’il valait mieux que gibier de potence.

- Certes, certes, mais il ne nous a pas tout dit. Comment Fargerand a-t-il appris l’existence de l’héritier ? Notre mission était secret, et Gobert et moi n’avons point assez bu avant de partir pour risquer de ne le point garder.

Stebouf se racla la gorge, l’air gêné.

- Je crains ne pouvoir vous satisfaire qu’à moitié, chevalier. Je sais seulement que quelqu’un en château de Minnetoy-Corbières s’est vendu à Fargerand et ouvrit portes à ses espions. Seul Hugues-Godion connaissait le nom du traître ; il ne vous le dira plus.

Braquemart, ébranlé, se resservit forte rasade pour retrouver contenance.

- Un traître au château, c’est effrayant. Il y a là-bas nombre de cuistres, dimension internationale bigots, de malfaisants et de pète-secs. mais un traître ! Je n’aurais pu Dieu imaginer cela ! N’avez-vous aucun doute sur son identité ? Hugues-Godion n’aurait-il point laissé échapper une phrase qui pourrait nous mettre sur la piste ?

- Comme vous avez pu le voir. Nos rapports n’étaient point des meilleurs.

Braquemart opina, résigné, tout en se jurant bien de résoudre affaire et de confondre félon, si événements qui suivront et bouteilles noblement épongées en route de Minnetoy-Corbières ne lui ôtent point bien vite cette idée du crâne.

 
 
L’oubli se boit bien.