ais alors qu’est devenue cette jeune femme qui fera sans doute beaucoup pour ta fringante légende, Braquemart ?

Ils étaient assis dans la cuisine d’Alcyde Petitpont, meunier de Minnetoy-Corbières. Ce dernier arborait bon sourire à voir ses amis de retour. Le feu caressait cul de marmite et l’odeur du pot-au-feu emplissait la pièce. Pour faire patienter affamés, le meunier leur remplissait vigoureusement verres d’une gnôle vieille de son verger, celle-là même qu’il luttait pied à pied pour conserver temps de maturation à l’abri des gorges de ses trop impatients amis. Gobert passait sa langue sur ses lèvres brûlées par noble liquide et Braquemart, cuiller de bois en guise d’épée, tailladait haut les brigands à la solde de Fargerand, mimant inlassablement bottes et combats entre deux poussées de soif. Il cessa gesticulations pour reprendre souffle et répondit à Petitpont :

- Oh, elle est retournée à ses montagnes, avec trop de tristesse au cour pour que je puisse en rire.

- Hum ! Ce n’est que pour dire de dire. mais je crois que Greult Stebouf n’était pas insensible aux charmes de Gabriella. Il lui a sans doute fait bonne escorte.

- Ne soit pas stupide, Gobert. Celle qui me connut ne se couche point sous avorton de passage. Ou alors par désespoir, et cette fille là était trop bonne et trop fière pour se laisser ainsi sombrer.

- Je ne sais. Lorsque Greult, sur le port, dut choisir entre embarquer avec nous pour pays de France ou la ramener vers son père, il n’a point hésité longtemps. Et Gabriella en semblait fort en joie.

- Sottises ! N’as-tu point vu combien elle a pleuré dans mes bras ?

- Euh, non !

- Elle pleura autant que tu bus et que tu dormis à force d’avoir bu, imbécile !

Petitpont remplit les verres avant que discussion ne s’envenime plus avant. Pour changer de sujet, il désigna la forme fluette allongée sous la couverture près du feu.

- Et comme par miracle, alors que vous trouvâtes fille en Italie, vous ramenez jeune garçon de mauvais us et de fort tempérament qui fera sans doute bel héritier. C’est là mystère auquel j’aimerais connaître explication !

Braquemart se passa main en barbe et s’éclaircit la gorge.

- Eh bien, j’ai dû oublier de te narrer qu’en chemin nous nous étions arrêtés en taverne. L’alberguière, une pauvre femme qui prétendait me connaître.

- Et très bien te connaître, d’ailleurs !

- Ventrapinte, foutredieu ! Je disais que cette femme n’avait engendré que quatre garçons peu enclins à l’aider en auberge. Sa pauvre situation nous toucha, aussi lui avons nous proposé échange. La petite Lucía n’avait point l’air trop enchantée, mais son bon sang et bonnes manières lui seront de belle utilité. Et la tenancière lui ouvrit bras en pleurant de joie. À notre départ, elle se débrouillait très bien en salle car Gobert lui apprit manières de déboucher cruchons et servir viandes.

- Bougremissel ! Je suis quatre fois père, je sais parler aux enfants.

- Quant au petit Quinotto, il nous a suivis avec entrain dès qu’il comprit que son géniteur était Duc. Il semble crédule autant qu’enclin à mauvaise farce. Je ne doute pas qu’il se plaira au château, et tout le monde y trouvera son compte.

Petitpont regardait le visage de l’enfant rougi par la danse des flammes, puis il regarda Braquemart et sourit.

- Je n’en doute point non plus, Alphagor, je n’en doute point non plus.