Chapitre XIX
 
Épisode 097
 

Eustèbe Martingale n’allait plus quêter taxes ni imposer horaire de fermeture en taverne. Entouré de quelques gardes fidèles, qu’il obligeait à coucher devant sa porte chaque nuit, il maudissait son mauvais sort et priait pour que Fargerand et Fustironcle ne cherchent pas à se venger de l’échec de leur plan. Il frémissait à l’idée que sa trahison surgisse au grand jour et se contentait de n’être point banni de château. Hugues-Godion de Villenaves n’avait sans doute pas eu le temps de le dénoncer. Dans le cas contraire, Eustèbe eût senti le vent tourner. C’était toujours cela de gagné. Lorsque chance se représenterait, il ourdirait de plus belle mais pour l’heure, il se faisait tout petit et se parfumait plus encore que d’habitude pour ne plus sentir odeur de ses angoisses.

La pire des tortures était joie qu’il entendait tout autour de lui, odes et compliments à ce fichu soiffard de Bourbier, qui en devenait plus intouchable encore, et à cet héritier qui ne semblait pas plus fin que son rustre de père et qu’il lui faudrait sans doute subir pendant des lustres.

Sur le château, bannière de saine et droite lignée des Minnetoy-Corbières flottait haut et claquait dans le vent. En couloirs, Quinotto, que le duc avait rebaptisé du nom plus chrétien de Firmin-Léandre, chevauchait bruyamment Achille le sanglier sous les rires de son père et les cris d’effroi des chambellans et cuisiniers effrayés par les dégâts provoqués par le petit monstre.

- Ah ! Camilla, mon amour ! Il est tout à fait moi, ce petit ! Tout à fait moi ! Si je vous disais que ce matin il a jeté son bol de lait à la figure de la nourrice pour s’emparer de mon flacon de piquette ?

- Il mord son précepteur, ne veut point lire, ne cesse de conter impossibles fariboles et, pis encore, refuse de venir en mes bras si ce n’est pour me palper corsage. Je ne sais quelle éducation lui a donné ma cousine, je l’aurais cru plus raffinée !

- C’est qu’il a le tempérament de son père ! Bon sang ne saurait mentir, dusse-t-il avoir fermenté loin de la source paternelle.

La Duchesse se détourna et marcha vers la fenêtre à meneaux. Elle soupira longuement en regardant jardin.

- Il refuse même de parler belle langue d’Italie avec moi, préférant proférer jurons et obscénités dont vous l’abreuvez entre deux rots. Il faudra pourtant qu’il prenne goût aux bonnes manières, sans quoi jamais il ne gouvernera.

- Jamais il ne gouvernera? Mais il est plus malin que ces professeurs imbéciles qui perdent temps dans les livres ! Croyez-moi mon amour, culture de l’âme n’a aucun avenir ; seul guerroyer, vider cruchon et trousser gueuse forme l’homme ! Souvenez-vous donc que le petit ange me suivit en chasse semaine passée.

- Je n’ai accepté cette triste excursion que par faiblesse et parce que vous avez promis de retenir vents en couche durant un mois, ce dont je dois dire, vous n’avez su vous acquitter.

Le duc sourit large et se resservit profonde coupe de vin frais.

- Promesses ne lient que ceux qui les écoutent ! Au lieu de jouer pimbêche triste à mourir, vous auriez dû venir et voir le petit en forêt. Il se tenait fort bien sur Achille. Chevaucher est-il verbe convenable lorsqu’on monte sanglier ? Peu importe ! Sachez donc que la petite canaille s’éclipsa pour poser collets à mon insu et qu’il comptait sortir en pleine nuit pour les relever. C’est Louis Bellefeuille qui l’a surprit avec ses yeux de hibou, sans quoi, il est fort probable que notre petit fruit d’amour eut réussi en son entreprise, n’est-ce pas merveilleux?

- Merveilleux, notre fils braconne ! persifla Camilla Clotilda avec lassitude. Enfin, tant que vos cousins se sont décidés à retirer leurs grosses pattes de notre duché.

- Ah ! Puisque vous en parlez, voici missive que j’ai fait adresser à Fargerand le hideux et à Fustironcle le fat, que ces deux charognes pourrissent aux enfers le cul empli de chaux vive !

 
 
Le putois serre les dents quand il pisse face au vent.