Chapitre XX
 
Épisode 099
 

uand le carrosse du duc s’arrêta devant taverne du Sanglier Noir, le chahut qu’on y menait était tel qu’un attroupement s’était formé. Les braves habitants fronçaient les sourcils après longue journée de labeur. Aucun d’entre eux n’osait pénétrer dans le bouge de Morrachou, plein à craquer. On y hurlait à pleins poumons les noms de l’héritier et de Braquemart et le bruit des godets entrechoqués faisait trembler les murs. La présence du duc fit s’élever quelques murmures approbateurs chez les badauds ; le suzerain venait en personne veiller à la quiétude du bourg.

Le duc restait droit sur son cheval. De l’intérieur, on entonnait un chant provençal dès plus gaillards : Les gigots de la lavandière  :

« L’était une lavandière
J’aime le gigot ma mère
L’était une lavandière
Qui lavait au ruisseau

« J’y passe par derrière
J’aime le gigot ma mère
J’y passe par derrière
Comme avec les agneaux »

Les lèvres du suzerain remuaient. La foule ne doutait pas un instant qu’il allait proférer ordre d’arrêt de tous ces turbulents. Sa garde se dispersait derrière lui, prête à intervenir.

Le Duc mit pied à terre et ouvrit porte de taverne. Il prit le tapage de plein fouet dans la hure. Il cligna des yeux. Le silence mit longtemps à se faire. Il resta sur le seuil.

- Où est le Chevalier Alphagor Bourbier de Montcon.

Braquemart descendit des épaules de Gobert et mit genou à terre, disparaissant derrière les costauds du cru.

- Je suis là, seigneur !

Tous regardaient vers l’entrée. Morrachou se tordait les mains derrière son tablier. Gobert finit godet sans trop éructer.

- J’ai cru ouïr que cadeau dont je t’ai fait l’honneur ne t’as point paru suffisant.

- Il faut comprendre, votre munifiscitude. Hommes du bourg et des champs aiment tant à m’entendre parler que mon gosier s’assèche comme crotte en désert ! Et, par goût comme par tradition, ces braves gaillards me suivent en buvade comme en récit. Aussi votre tonneau, sauf votre respect votre duqueté, nous n’en fîmes qu’une gorgée !

Il se tut. Le Duc le considérait en silence, puis il s’écarta et lui fit signe de sortir à sa suite. Braquemart, s’exécuta, suivit de Gobert et de quelques gosiers musclés.

La foule eut un murmure approbateur en voyant la cause de tout ce chahut sortir au grand air, la moue penaude, sous la poigne du duc.

On entendit alors grondement de tonnerre qui s’approchait. Ce fut signal pour les gardes de repousser la foule afin de ménager clairière devant la taverne. Quatre puissants percherons arrivèrent en soufflant fort. Ils étaient luisants d’écume, au bord de l’épuisement. La charrette qu’ils tiraient croulait sous le poids de plus de barriques qu’il ne s’en peut convoyer De profondes ornières marquaient son sillage et les pavés éclataient sous le fer des roues.

- Puisqu’une barrique ne vous a point suffit, je vous en ai fait mener deux douzaines !

Tous demeurèrent bouche bée. Gobert essuya larme d’émotion qui manquait de lui couler long de joue et dit de sa voix de basse noble.

- Bougremissel, ça c’est du suzerain !

 
 
Les feuilles mortes molles se ramassent à l’appel.