Chapitre II
 
     
 
Épisode 002
 
     
 

Claude déplaça de quelques millimètres une assiette de pâtisseries et contempla, satisfaite, l’ensemble du buffet. Le traiteur avait tenu ses promesses. Original et appétissant. Tout en s’assurant que personne ne l’observait, elle puisa dans le plat de petits sandwichs. Elle adorait ceux au saumon. Autant en profiter avant que les invités les dévorent. C’est étrange comme des personnes aussi distinguées, des amateurs d’Art Chic, ceux qui évoluent dans le luxe et la beauté, peuvent se révéler vulgaires devant un repas gratuit. Une fois de plus, elle se dit que les vernissages devraient être payants. Mais pour appâter le client, il faut jouer l’opulence.

Finalement cet argent gaspillé, elle s’en fichait, ce n’était pas le sien. C’était celui d’Edouard et de Florence, ses patrons.

Ils n’étaient pas encore arrivés, ce qui ne la surprenait pas. « Claude, vous vous occupez de tout, n’est-ce pas ? Vous le faites si bien. Florence est incapable de gérer ces détails pratiques. » Mais bien sûr Edouard, pas de problème, allez vous bichonner pendant que je m’occupe de l’intendance, soyez frais et dispos pour susurrer des flatteries aux gros pleins de fric.

Mais qu’est-ce qui lui prenait ? Cette amertume ne lui ressemblait pas. Les Maudet étaient ses amis. Il y a cinq ans, lorsqu’elle s’était retrouvée seule avec Lilie, tout le monde avait compati à sa douleur ; témoignages de sympathie, oreilles attentives, moments de peine partagée. Mais une femme seule, ça fait peur. Les invitations s’étaient espacées, pour bientôt cesser. Presque par hasard. Sans remous. On ne se voyait plus et finalement, cela n’avait pas d’importance.

Mais Florence et Edouard ne l’avaient jamais abandonnée. Ils s’étaient montrés attentionnés sans pour autant devenir envahissants. A cette époque, le père d’Edouard, ancien propriétaire de la galerie, venait de mourir lui léguant l’ensemble de la collection. Pourquoi ne viendrait-elle pas travailler avec eux ? Ils avaient besoin de quelqu’un pour organiser les ventes aux enchères. Non, ils ne lui offraient pas la charité, mais un travail à la hauteur de ses compétences, elle possédait une licence en histoire de l’art, n’est-ce pas ?

Un claquement suivi d’exclamations débridées la tira de ses réflexions. Claude se dirigea vers l’entrée pour accueillir les Maudet qui pestaient contre ce sale temps, cette pluie incessante qui inondait la ville depuis des jours. Très mauvais pour les tapis qui vont, une fois de plus se couvrir de boue. En prenant le parapluie de son patron, Claude lui dit gentiment :

- Allons Edouard, le faux persan de l’entrée ne risque pas grand-chose. Venez admirer le buffet. Tout est prêt.

Florence s’excusa, elle devait vite lancer un coup de fil. Elle en avait pour une minute. Claude surprit le regard agacé d’Edouard. Une tension s’insinua dans la pièce comme un écran de pollen, volatile et tenace.

- Dépêche-toi, ils vont bientôt débarquer.

Ce « ils » impersonnel glaça Claude. Son patron ne méprisait jamais ses clients potentiels. Il semblait furieux contre sa femme. Florence, loin de s’émouvoir par cette attitude, murmura quelques mots à l’oreille de Claude.

- Dès que vous pourrez, venez me rejoindre, j’ai préparé une surprise pour l’anniversaire d’Edouard, soyez discrète, il ne se doute de rien.