Chapitre II
 
     
 
Épisode 005
 
     
 

Nicky fut surpris par le calme qui régnait dans l’entrée. Il s’était attendu à voir surgir un colosse qui aurait tout de suite flairé, c’était son boulot, cet imposteur. Mais personne ne le remarqua, il était devenu invisible. Sans bouger, il scruta la grande salle bondée à la recherche de Claude. Il ne la vit pas, mais elle avait sûrement changé en six ans, lui aussi d’ailleurs. Un vent de panique le fit frissonner. Quel idiot prétentieux ! Qu’est-ce qu’il imaginait ? Qu’elle surgirait de cette foule distinguée et lui sauterait dans les bras ? Merci d’être venu Nicky, c’est si bon de te revoir. Foutaises. Mais il n’était pas trop tard pour réparer son erreur, il suffisait de rebrousser chemin et sortir en douce de la galerie. Il l’appellerait demain.

- Ne restez pas là. Entrez. C’est le moment de la surprise, suivez-moi.

Une femme en velours noir le précéda dans la grande salle ; elle lui avait donné un ordre et s’attendait à ce qu’il l’exécute. Il la reconnut immédiatement. Même sourire de gamine espiègle, même silhouette gracieuse, même ton autoritaire. Florence. Si égoïste et généreuse, si froide et sensuelle.

- Excusez-moi, je cherche Claude.

Sans se retourner, elle lui répondit qu’elle était dans la cuisine, par là-bas. Florence ne l’avait pas reconnu. Il se dirigea dans la direction indiquée. Une tenture grenat masquait l’entrée de la cuisine. Il écarta le rideau. Des dizaines de cartons éventrés gisaient par terre, laissant apparaître des traînées grasses sur le carrelage rouge. Fasciné par ces carcasses, il faillit renverser l’énorme gâteau posé sur la table.

- Faites attention !

Nicky sursauta et se rattrapa de justesse au rebord de l’évier. Il avait reconnu sa voix. La voix de Claude, de sa Claude. Non, la voix de la femme de Paolo, son meilleur ami assassiné il y a cinq ans.

- Vous n’auriez pas un briquet ?

Claude émergea de l’armoire et descendit de sa chaise. Elle bougeait lentement comme engluée dans des pensées trop lourdes pour son petit corps. Nicky la fixa sans parler. Elle semblait si lasse, si vulnérable dans son tailleur trop strict. Avant, elle ne s’habillait jamais en foncé, elle portait du jaune, de l’orange, du rouge, elle aimait la lumière. Mais c’était avant.

Nicky ne bougea pas. Il attendait. Incapable de faire le premier pas, incapable de lui tendre les bras. Un lâche, comme toujours. Comme lorsqu’il était parti. Un lâche et un prétentieux.

- Nicky ?

Claude l’avait reconnu. Il éprouva un immense soulagement puis, sans vraiment savoir pourquoi, une profonde peine. Les mots préparés depuis si longtemps se taisaient, embourbés dans la vase de sa mauvaise conscience. Très vite, il lui dit qu’il regrettait de ne pas avoir donné signe de vie plus tôt, qu’il avait beaucoup voyagé ces dernières années, qu’il était désolé, vraiment désolé.

D’un geste de la main, Claude coupa court à ses jérémiades.

- Tu tombes mal. Les invités attendent le gâteau et je n’ai pas de feu pour allumer les bougies.

- Je dois avoir une pochette d’allumettes.

La pochette était trempée, mais après quelques essais, Claude réussit à faire jaillir une petite flamme.

Nicky retrouva un semblant d’assurance, au moins il avait servi à quelque chose.

- Claude, il faut absolument que je te parle. C’est très important.

- Vous pourrez lui parler, mais pas maintenant.

Florence se tenait sur le seuil de la cuisine. Sa voix était douce, mais son corps résonnait de colère.

- Désolée de vous interrompre, Claude, mais Edouard et les invités sont réunis dans la grande salle et attendent la surprise. Alors vous pouvez inviter votre ami à partager le gâteau, mais pour ce qui est de la discussion..

- Excusez-moi Florence, j’arrive tout de suite.

Claude souleva délicatement le gâteau et dit :

- Je vous présente Nicolas. C’était un collègue et ami de Paolo.

Nicky s’avança et prit la main de Florence qui n’avait pas bougé.

- Vous m’avez peut-être oublié, mais moi je me souviens très bien de vous. Une femme aussi ravissante ne s’oublie pas.

Ces paroles eurent l’effet escompté. Florence se radoucit.

- Merci. Maintenant allons fêter l’anniversaire d’Edouard.