Chapitre III
 
     
 
Épisode 007
 
     
 

Son doigt caressa le miroir. Tout doucement. Il s’attardait sur les contours de son visage, descendait le long du cou, remontait lentement et se figeait sur sa bouche. Une ligne rouge sombre réduisait l’aspect des lèvres à un minuscule trait d’union. Il sourit à son image et murmura : « Bien, très bien. Toi, ce soir, tu vas t’amuser. » Sa nouvelle apparence lui plaisait. Il aimait l’allure décontractée, nonchalante, de ce gars. Excellent la nonchalance. Et le baladeur, génial l’idée du baladeur. Personne ne se méfie d’un mec qui marche lentement en ondulant au rythme d’une musique qui explose dans sa tête.

La journée avait été merdique et la soirée exécrable. Il avait dû supporter les bavardages de ces prétentieux sans réagir, en affichant son masque d’homme civilisé. Au moment du gâteau, il avait été pris d’un fou rire qui l’avait violemment secoué attirant les regards courroucés de l’assemblée.

Il regarda sa montre. Une heure trente. C’était l’heure de sa p’tite virée. La nuit était bien installée, les bars étaient pleins, l’alcool s’insinuait dans la raison des buveurs. Il gonfla le torse et ajusta sa ceinture. Toutes les lopettes sont en chasse, leur petit cul bien serré dans leurs jeans moulants. Il range la trousse de maquillage, vérifie le contenu de ses poches et sans un bruit, sort dans la nuit.

***

Jérôme ferma son verrou, balança ses chaussures dans l’entrée et s’écroula sur le canapé. La soirée chez ses parents ne s’était pas trop mal passée. Sa mère avait cuisiné un délicieux repas qui avait plu, pour une fois, à son père. Son vieux trouvait toujours quelque chose à critiquer. Trop cuit, trop sec, trop gras, trop tôt, trop tard, et encore, et encore, toujours la même rengaine de râleur invétéré.

Mais, ce soir, il s’était comporté différemment. Plus serviable, plus gentil. D’habitude, il ne bougeait pas de sa chaise, il attendait que sa femme s’occupe de tout. Aujourd’hui, il l’avait aidée à servir et à débarrasser. Et, le plus étrange, c’est qu’il lui avait parlé. Oui, depuis dix ans, c’était la première fois que son père lui adressait la parole sans passer par sa mère.

La première fois depuis cette fameuse soirée où il leur avait annoncé qu’il était homosexuel. Il avait parlé calmement persuadé que ses parents comprendraient. Mais il s’était trompé. Sa mère s’était figée baissant les yeux sur sa cuisse de poulet qui baignait dans une sauce aux champignons. Son père avait bondi de sa chaise et s’était approché en brandissant sa paume ouverte tout près de son visage. Ses yeux. Jérôme se rappelait ses yeux. Le bleu avait disparu de l’iris pour céder la place à un rouge écarlate, un rouge sanguinaire. Des yeux de fou. A ce moment, sa mère s’était interposée. Elle lui avait dit non, elle lui avait hurlé d’arrêter, de le laisser. Pour la première fois de sa vie, sa mère avait osé s’opposer à son mari. Surpris par cette voix autoritaire, le vieux avait abattu son poing sur la table, faisant valser le pichet de vin rouge qui était allé se fracasser sur le carrelage immaculé de la cuisine.

Parfois, Jérôme voyait sa mère en cachette. Elle venait déjeuner avec lui, dans un bistrot près de sa banque. Deux fois par an, elle le suppliait de venir manger « à la maison ». A Noël et à son anniversaire. Ce soir, c’était pour son anniversaire. Et ce soir, son père lui avait parlé.

Jérôme regarda sa montre. Onze heures trente. Il n’avait pas sommeil. Pourquoi ne pas aller boire un verre ?

Cinq minutes plus tard, il était dans la rue. Ses clefs de voiture à la main, il hésite. Dans le quartier les places étaient rares, il risquait bien de se faire piquer la. Finalement, il rangea les clefs dans sa poche, ouvrit son parapluie et se dirigea vers son bar préféré en sautillant pour éviter les flaques