Chapitre III
 
     
 
Épisode 008
 
     
 

Le bar était bondé. Jérôme secoua son parapluie et le laissa à l’entrée. Ses yeux avaient de la peine à percer cet espace sombre et enfumé. Il slalomait autour des tables saluant des connaissances au passage. Arrivé au comptoir, il se hissa sur un tabouret légèrement en retrait des autres. Jérôme commanda une bière. Il crevait de soif. Après la première chope, il se sentit mieux. Après la deuxième, il se sentit bien. La musique devenait supportable, la fumée aussi. Un seul désagrément. Il avait besoin de pisser. D’abord, il essaya de penser à autre chose, mais sa vessie lui envoyait des signaux pressants. Et ici, les toilettes étaient à l’extérieur du bar, dans un infâme cabanon qui puait la veille pisse. Jérôme se leva à contrecour et se dirigea vers la porte du fond.

Plus tard, il racontera aux flics qu’il y a comme un trou noir dans sa tête. Oui, il se souvient être sorti par la porte du fond, avoir traversé la minuscule ruelle qui jouxte le bar et avoir ouvert la porte du cabanon. Non, c’est faux. En fait, la porte était fermée à clé. Comme il ne pouvait plus se retenir, il s’est planqué derrière le cabanon pour pisser. Son agresseur a dû en profiter pour se glisser derrière lui. Jérôme ne se rappelle pas avoir refermé sa braguette, mais il sent encore le parfum lourd de l’homme. Une odeur écourante, mélange humide d’eau de toilette et de graillon.

***

Lorsqu’ils arrivèrent à l’hôpital, les parents de Jérôme furent reçus par le médecin de garde des urgences. Il leur raconta les circonstances de l’agression en précisant que la police s’occupait de l’affaire, que le coupable serait puni. Mais la mère l’interrompit.

- Docteur, comment va Jérôme ?

Le jeune médecin se sentait démuni devant ce couple qui allait peut-être perdre son fils unique. Il n’était pas formé pour annoncer des mauvaises nouvelles aux parents de ses patients, il avait choisi la médecine pour sauver des vies, pas pour anticiper des morts.

- Il a reçu de nombreux coups au visage, dans le bas ventre et dans la région lombaire. Fractures du nez et de la mâchoire, arcade sourcilière éclatée, contusions multiples.

Il hésita et décida de taire la probable hémorragie interne et le risque de paralysie suite aux lésions lombaires.

- Mais, il va s’en sortir, n’est-ce pas Docteur ?

Il fut surpris que ce soit le père qui pose la question. Le vieil homme était sorti de sa torpeur et pressait nerveusement la main de sa femme.

- Pour le moment, son état est stationnaire. Nous surveillons attentivement le risque d’hémorragie interne.

Le père se rapprocha du jeune médecin et lui dit :

- Docteur, Jérôme est notre fils unique. Sa mère l’a toujours accepté tel qu’il est, et elle a eu raison. Moi, je l’ai rejeté sans chercher à comprendre ses choix. Ces dix dernières années sont définitivement gâchées, mais je vais me racheter dans les prochaines. Alors Docteur, vous allez mettre la grosse machine médicale en branle et vous allez le sauver.

Le médecin soutint le regard du père dans lequel brillait une flamme de vie.

- Sa convalescence sera longue, il aura besoin de vous.

- Nous sommes là.