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Chapitre V |
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Épisode 015 |
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- C’est incroyable, cette histoire de meurtre. Florence n’en revenait pas. Elle agrippa le bras de son mari pour éviter de déraper sur les pavés glissants. - Edouard, tu te rends compte de ce que cela signifie ? - Franchement, juste là, maintenant, j’essaie de regarder où je mets les pieds pour ne pas abîmer mes chaussures neuves. - Et moi, j’essaie de te dire que cette histoire est catastrophique pour la réputation de la galerie. En plus, à trois semaines de la vente aux enchères annuelle. On peut dire qu’il a mal choisi son moment pour se faire descendre. Edouard regarda sa femme. Il détestait la voir contrariée. Pas elle, pas la femme qu’il avait juré d’aimer, pas la femme qu’il adorait. La pluie avait brusquement cessé. Il ferma son parapluie et serra Florence contre lui. - Ne t’inquiète pas. Personne n’a intérêt à mêler la galerie à ce drame sordide. Je vais contacter différentes personnes qui se chargeront de détourner les médias vers d’autres cibles. La réputation de la galerie n’en souffrira pas, je te le promets. Florence esquissa un sourire de reconnaissance. Edouard était si rassurant. Un peu ennuyeux parfois, mais dans les situations de crise, il se révélait efficace et déterminé. Prêt à tout pour la protéger des agressions du monde extérieur. Elle soupira. Du monde extérieur, mais pas de ses propres démons. Edouard continua : - Cet Inspecteur Morales va certainement nous contacter. Nous le recevrons ensemble et nous lui dirons ce que nous savons. - Et qu’est-ce que nous savons ? - Rien, nous ne savons rien. ***Philippe se laissa tomber dans le fauteuil en velours bleu cyan du petit salon. Claude était allé régler un problème d’intendance entre Maria et Carmen, elle n’allait pas tarder à revenir. Pendant le repas, il avait ressenti un malaise. Pourtant, Maria leur avait préparé son fabuleux gratin de pommes de terre et sa mousse aux fraises. Tout le monde s’était extasié sur les talents de la cuisinière. Le Colonel du haut de son piédestal devait être dévoré de jalousie. Philippe se souvenait de cet homme autoritaire et gourmand. Dans un de leur rare moment de confidence, Claude lui avait raconté que son père rêvait d’un fils et à sa naissance, il avait été terriblement déçu. Les filles n’étaient pas des soldats. Alors il l’avait appelée Claude. Pendant des années, il parla de Claude, son enfant unique, à ses vieux copains de régiment. Jusqu’au jour où elle débarqua au milieu d’une de leur réunion pensant faire une surprise à son père. Le Colonel ne lui avait jamais pardonné cette intrusion. Elle avait cassé un rêve et l’avait ridiculisé devant ses soldats. Le fauteuil l’enveloppait comme des bras de mer chaude dans cette journée pourrie. Le malaise. Pourquoi ? La robe de Claude. Oui, le malaise venait de la robe de Claude. Des taches humides striaient sa robe. Ces différences de ton et les plis sur l’étoffe mouillée lui donnaient un air négligé. Elle était rentrée de la galerie sous la pluie et avait oublié de se changer, ou n’avait pas jugé nécessaire de le faire. Finalement, après le dessert, au moment où les Maudet s’étaient levés pour prendre congé, Claude leur avait annoncé la nouvelle. Franchement, la mort de Nicky le laissait assez indifférent. Par contre, il s’inquiétait pour Claude. Il aurait voulu la consoler, la prendre dans ses bras pour lui montrer qu’elle n’était pas seule, qu’il était là, prêt à jouer un rôle dans sa vie. Mais pas seulement le rôle d’ami à-qui-l’on-peut-tout-raconter. Un vrai rôle d’amant et pourquoi pas, d’époux. Mais il n’était pas le genre d’homme à jouer les premiers rôles. Trop peur des complications, pas prêt à assumer un échec. Toutes ces années à attendre qu’elle veuille bien lui accorder ses faveurs, c’était stupide ; il fallait qu’il se montre entreprenant, sûr de lui. Finies les hésitations, les rêveries d’adolescent, il allait passer à l’action, sa carrière de figurant s’achevait aujourd’hui, maintenant. En attendant de mettre en pratique ces bonnes résolutions, il se leva, s’empara de la bouteille de cognac et se servit généreusement. En souriant, il leva son verre en direction du buste du Colonel. - Santé Colonel ! Le Colonel avait toujours eu un goût très sûr en matière de digestifs. |
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© Cousu Mouche, 2007-2008, tous droits réservés. |
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