Chapitre VI
 
     
 
Épisode 019
 
     
 

Robin fouilla dans le dernier tiroir de son bureau, sortit un coca light, une demi-tablette de chocolat, une cigarette déjà mâchouillée et dans un grincement de roue carrée, propulsa sa chaise près de l’écran.

La première demi-heure défila en accéléré. Robin détestait le ton utilisé par le présentateur, mélange de terreur et de délectation. Il était dans la police depuis quinze ans, mais il ne s’était jamais habitué à l’horreur des faits divers. Ces événements qui grossissaient les rubriques des chiens écrasés, ces drames que les gens oubliaient dès la fin de l’article mais qui bouleversaient des vies.

Dernièrement, la télévision avait largement puisé dans les faits divers pour alimenter des reportages qui se voulaient le reflet d’un quotidien sordide. Le public se rassurait en voyant des drames se passer ailleurs. Alors chacun y allait de son avis, heureux de vivre loin de ces événements monstrueux, fier de constater que dans son entourage, personne n’aurait disjoncté comme ce pauvre bougre de la télé, ce gars qui a pété les plombs. Celui que l’on ne connaît pas et que l’on ne connaîtra jamais.

En deuxième partie d’émission, le journaliste présenta la reconstitution de « l’affaire de la station service » qui avait ému le public il y a cinq ans. Il parla de la petite fille, l’enfant de trois ans qui, depuis le drame, n’avait plus prononcé un mot. Prenant un air de conspirateur, il expliqua que la voix off dans le reportage était celle de Paolo.

- Bien sûr, ce n’est pas vraiment celle de Paolo Calvi, c’est celle de l’acteur qui joue son rôle. Il nous semblait intéressant d’imaginer ce que pensait la victime au moment des faits. Afin de nous aider à cerner l’état d’esprit dans lequel il se trouvait, nous avons récolté des témoignages de gens qui ont bien connu Paolo. Ces personnes ont désiré garder l’anonymat et nous respectons leur choix.

Suivait un monologue sur nos valeurs bafouées par une société en décomposition. Robin saisit la télécommande et le présentateur agité de spasmes muets défila en accéléré. Le pantin retrouva sa voix au moment où Robin remit en mode lecture.

- . C’est ici que tout a commencé.

Le visage condescendant du commentateur disparut. A sa place, un paysage bucolique s’installa sur le petit écran. Robin connaissait ce coin situé à dix kilomètres au nord de la ville. Une banlieue chic où s’alignaient des rangées de maisons mitoyennes bien proprettes. Un quartier fraîchement sorti de terre, habité par des cadres moyens promus au rang de propriétaires. Côté rue, les allées bordées de fleurs soigneusement triées par couleurs semblaient attendre les visiteurs. Côté jardin, barrières, haies de thuyas, palissades défendaient avec acharnement l’intimité des habitants.

La caméra balaya la rue déserte et s’immobilisa sur le 71. Une maison comme les autres, carrée avec des grandes fenêtres. L’image se figea sur la porte d’entrée jaune pâle.

Robin se cala dans son siège. Un fond de musique poisseuse s’insinua dans son corps comme un ténia dans un organisme vulnérable.