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Chapitre VIII |
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Épisode 029 |
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Robin rangea sa voiture sur le bas-côté du chemin de terre et examina la carte. Il était déjà venu ici, mais s’il se vantait d’avoir de l’intuition, son sens de l’orientation laissait à désirer. Ces chemins de campagne se ressemblaient tous. Borel lui avait dit de suivre une rangée de marronniers, mais un brouillard humide enveloppait les arbres qui se confondaient avec le blanc sale du ciel. En fouillant dans la boîte à gant, Robin dénicha un chiffon qu’il utilisa pour essuyer la buée sur les verres de ses lunettes. Il en profita pour donner un coup sur le pare-brise, tout en maudissant le chauffage capricieux de sa bagnole. Il avait appelé son ancien collègue ce matin, en sortant de la galerie. L’entretien avec les Maudet lui avait laissé un sentiment de malaise. Il avait l’impression de se faire piloter, pion docile dans un jeu dont il ne connaissait pas les règles. Borel pourrait l’aider à comprendre ce qui s’était réellement passé à la station service, l’aider à sortir de ce tissu de rumeurs qui lui collait au corps comme une pellicule de papier plastifié. Quelques minutes plus tard, il parqua sa coccinelle devant une maisonnette en bois clair. Un bouvier bernois bondit de la haie parfaitement taillée et lui tourna autour en agitant joyeusement la queue. Robin se crispa et, tout en murmurant des paroles flatteuses à l’animal, s’avança dans l’allée et se dirigea vers la silhouette d’un homme masqué qui se tenait accroupi au fond du jardin. Absorbé par sa tâche, il n’entendit pas approcher Robin. - Alors inspecteur, toujours à chercher la petite bête ? L’homme sourit derrière son voile et fit signe à Robin d’approcher. - Regardez Morales, voici un exemple de société parfaitement organisée. Une reine et des ouvrières qui travaillent sans relâche pour la survie de l’essaim. Robin fit mine d’admirer la ruche, mais la ronde des abeilles n’arrivait pas à le fasciner, au contraire, il avait l’impression que les insectes le narguaient en affûtant leur aiguillon. Pour confirmer ses soupçons, une abeille se détacha de l’essaim et, dans un bourdonnement aigu vint flirter avec son visage. Le bruit lui chatouilla désagréablement l’oreille, comme une craie trop pointue qui dérape sur un tableau noir. Il s’éloigna prestement de la ruche et cria à Borel qu’il allait admirer ses parterres de fleurs en attendant qu’il ait terminé. En se dirigeant vers le fond du jardin, Robin regarda sa montre. L’après-midi était déjà bien entamé et il n’avait rien fait. La campagne l’oppressait. Les mélanges de bruits et d’odeurs dérangeaient ses sens de citadin. Les champs qui s’étendaient à perte de vue lui donnaient l’impression de voguer au hasard, sans repères pour satisfaire son esprit pragmatique. Il avait besoin d’être entouré de constructions solides éclairées jour et nuit, de marcher dans des rues aux côtés de gens qu’il ne connaîtrait jamais, de boire son café dans son bistrot, à sa table servi par sa serveuse. Ici, il était décalé, orphelin solitaire taquiné par une nature en mal de plaisanteries. Il jeta un coup d’oil à son ancien chef toujours accroupi devant sa ruche. La retraite avait transformé le policier acerbe et débordé en petit vieux débonnaire et ralenti. Au moment où ces pensées lui traversèrent l’esprit, Borel lui fit un signe, se releva et enleva avec agilité la tenue qui le protégeait des piqûres de ses insectes. Débarrassé de son harnachement, il lui dit : - Je vous sens nerveux, inspecteur, vous regrettez d’être venu dans l’antre d’un vieil original qui risque de vous faire perdre votre temps, vous pensez à tout ce que vous devriez faire en ce moment, à la paperasse qui s’accumule sur votre bureau attendant votre précieuse bénédiction. Inutile de protester, j’étais comme vous. Il sourit en l’entraînant à l’intérieur de la petite maison. - Et comme vous, je détestais la campagne. |
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© Cousu Mouche, 2007-2008, tous droits réservés. |
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