Chapitre X
 
     
 
Épisode 038
 
     
 

Il faisait si sombre dans la chambre. Seuls quelques éclats de phares arrivaient à transpercer la nuit. Allongée sur le lit, elle se laissait bercer par les crissements de pneus qui trouaient le silence de la rue endormie. Paolo. Il lui manquait tellement. Ses mains étaient si douces, son corps si ferme, si accueillant. Elle aimait le caresser, lentement, explorer ses recoins, frôler son sexe, titiller la pointe de ses seins. Et puis s’abandonner à son désir. Crier pendant la jouissance, ensemble, comme si à chaque fois, c’était la dernière. Etreintes furtives, passion interdite. Elle se souvenait de l’attente, de l’excitation qui précédait leurs rencontres, des ruses qu’ils inventaient pour voler ces moments d’extase. L’urgence du désir. L’abandon.

Mais pour Paolo, ce n’était qu’une aventure, un en-cas appétissant. Leur liaison n’avait duré que quelques semaines, son repas terminé, il était parti.

À son enterrement, ses yeux étaient restés secs.

Ses yeux s’étaient habitués à l’obscurité de la pièce et fixaient le reflet du lampadaire qui ondulait le long de la commode.

Une fois de plus, elle se dit que Paolo n’aurait jamais dû l’abandonner.

***

Carmen dormait profondément. Pour en être sûr, il s’approcha doucement de son visage et écouta sa respiration. Lente et régulière, parfait. Il avait entendu à la radio que lorsque l’on dort, on respire plus lentement, le cour se repose. Depuis, chaque fois qu’il rentrait tard, il vérifiait si le cour de Carmen se reposait. Pour lui, il pouvait même s’arrêter de battre, tant qu’à faire, une sieste de cour. Il aurait eu droit aux condoléances de la patronne. Peut-être même qu’elle aurait voulu le consoler, un beau veuf, ça ne se refuse pas, surtout quand on n’a pas baisé depuis si longtemps. Pourtant, ce n’étaient pas les prétendants qui manquent, mais cet idiot de Philippe était beaucoup trop coincé pour plaire à une femme aussi chaude. Il avait bien vu comme elle le dévisageait, une vraie tigresse.

Il enleva soigneusement les traces de maquillage avec un kleenex qu’il jeta dans les toilettes. Par association d’idées, ses pensées dérivèrent vers sa femme. Pour le moment, c’était avec cette tigresse là, celle qui reposait son cour, qu’il devait composer. Elle était terriblement jalouse. Dès le début de leur liaison, mais ces derniers temps, ça empirait. Surtout depuis qu’elle s’était fourrée dans la tête ces histoires de bébés. Il n’allait quand même pas se coltiner un môme juste pour garder sa couverture. Non, il se tirerait avant. Pourtant il l’aimait bien Carmen. Elle était juste trop ordinaire, trop raisonnable et elle l’aimait trop. Au début, c’était flatteur, mais à la longue ça devenait chiant.

Tout en se coiffant pour enlever les traces de gel, Raoul songeait au jeune gars du parc. Tandis qu’il le baladait en bagnole, il avait senti une attirance pour ce beau mec affalé à ses côtés.

A ce souvenir, une bouffée de désir l’envahit et il constata avec honte que son sexe s’était dressé et dépassait de son caleçon. Lui qui hait les pédés, comme son père d’ailleurs. Mais son père était un homme extraordinaire, une force de la nature, tout le monde le respectait, à commencer par sa famille. A l’époque, on savait qui était le chef. Au souvenir de son père, son érection disparut. Il utilisait toujours ce truc pour calmer ses pulsions. Il faudrait faire très attention demain, ne pas s’emballer, ne pas taper trop fort, même si le gars méritait sa grosse correction.

Une fois ses ablutions terminées, il se glissa avec précaution dans le lit, il ne voulait surtout pas réveiller la Belle au Bois-Dormant.

***

Cela faisait un quart d’heure qu’il traficotait dans la salle de bain. Carmen se concentra sur les bruits de flacons qui tintaient à travers la mince paroi pour essayer de comprendre ce qu’il fabriquait. Lorsque, finalement, il se faufila dans le lit, il dégageait une odeur de démaquillant et de menthe mélangée. Raoul croyait qu’il suffisait de sucer un bonbon pour masquer les relents d’alcool. Il pouvait être si naïf ! Mais c’était le démaquillant qui l’inquiétait. Raoul ne se maquillait jamais, mais aujourd’hui, l’homme qu’elle avait aperçu dans le parc, cet homme là aurait pu être maquillé.

La colère qui l’avait animée pendant la journée fit place à l’inquiétude. Sous ses airs vantards Raoul était fragile et influençable. Elle s’était toujours méfiée de ses copains, une bande de voyous qui passait son temps à picoler en reluquant les femmes.

Demain elle le suivrait. Elle voulait savoir ce qu’il manigançait. Son homme était en danger, et elle allait l’aider à s’en sortir.